Baudelaire, Charles

Bealu, Michel

Béarn, Pierre 

Beau,  Michel 

Bebey,  Francis 

Bellay, Joachim du

Bérimont, Luc 

Bosco, Henri 

Bosquet, Alain 

Botturi, Marie 

Boy, Daniel

Breton, André 

 

 

 

 

LE CHAT

De sa fourrure blonde et brune
Sort un parfum si doux, qu'un soir
J'en fus embaumé pour l'avoir
Caressé une fois, rien qu'une.

C'est l'esprit familier du lieu ;
Il juge, il préside, il inspire
Toutes choses dans son empire ;
Peut-être est-il fée, est-il Dieu ?

Quand mes yeux, vers ce chat que j'aime
Tirés comme par un aimant,
Se retournent docilement
Et que je regarde en moi-même,

Je vois avec étonnement
Le feu de ses prunelles pâles,
Clairs fanaux, vivantes opâles,
Qui me contemplent fixement.

Charles Baudelaire,
Les Fleurs du Mal, 1857.

 

L'homme et la mer

Homme libre, toujours tu chériras la mer!
La mer est ton miroir, tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame
Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.

Tu te plais a plonger au sein de ton image;
Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.

Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets;
Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes;
O mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets!

Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remords,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
O lutteurs éternels, O frères implacables!

Charles Baudelaire

 

Invitation au Voyage

Mon enfant, ma soeur,
Songe à la douceur,
D'aller là-bas, vivre ensemble!
Aimer à loisir,
Aimer et mourir,
Au pays qui te ressemble!
Les soleils mouillés,
De ces ciels brouillés,
Pour mon esprit ont les charmes,
Si mystérieux,
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l'ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
A l'âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe,calme et volupté.

Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l'humeur est vagabonde;
C'est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu'ils viennent du bout du monde.
Les soleils couchants
Revêtent les champs
Les canaux, la ville entière
D'hyacinthe et d'or;
Le monde s'endort
Dans une chaude lumière

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe,calme et volupté.

Charles Baudelaire

 

Voix des Arbres

Les arbres timides et forts
La nuit parlent à voix haute
Mais si simple est leur langage
Qu'il n'effraie pas les oiseaux

Près du cimetière où les morts
Remuent leurs lèvres de cendre
Le printemps en flocons roses
Rit comme une jeune fille

Et parfois comme le coeur
Prisonnier d'un vieil amour
La forêt pousse un long cri
En secouant les barreaux.

Marcel Bealu

 

 

USINE DE CAMPAGNE

 

 

Usine ourlant de laideur grise un champ de blé

si honteuse dans sa logique

de dresser là ses murs de briques

qu'on la prendrait pour un grand vaisseau naufragé.

 

Sa cheminée trop haute et qui semble vétuste

distille une fumée d'hiver

que le vent aussitôt conquiert

pour tracer dans le ciel un fin chemin d'arbustes.

 

Le lierre et les orties cernent les alentours

et la mousse attendrit ses tuiles

en leur donnant un air fertile

de jachère attendant l'époque des labours.

 

Mais dans l'été qui dort son haleine est trop forte

pour les papillons audacieux

et les blés ont pris l'air soucieux

des arbres quand ils voient tomber leurs feuilles mortes.

 

Pierre Béarn


 

 

LA CHAINE

 

La chaîne cliquette en dépliant ses vertèbres.

                   Cloc ! l'homme assis serre un écrou.

                   Cloc ! Cloc ! et l'écrou fait glouglou,

telles des gouttes d'eau tombant dans les ténèbres.

 

Cloc ! Cloc ! Glouglou.  Cloc ! Cloc ! la chaîne se déploie

cueillant au vol le geste à faire

pour que l'écrou héréditaire

saute sur le boulon qu'on lui promet en proie.

 

Pierre Béarn

 

 

 

MACHINES

 

Alignés en forçats sous un plafond de vitres

l'armée des pistons marche au pas

en rythmant ferme son fracas

pour le repos du contremaître qui l'arbitre.

 

La vapeur fuse en s'évadant d'un robinet

un menu sifflet se révolte

une burette désinvolte

s'amuse à voltiger de clapet en clapet.

 

Pierre Béarn

 

 

 

poisson-scie et sa cousine

Un poisson-scie s'encolérait

d'avoir perdu chez les sardines

une cousine qu'il aimait..

Rendez-la-moi! sales gamines!

leur criait-il d'un air mauvais,

ou je vous ferai orphelines!

Foutriquet! dit une bambine,

ne vois-tu pas que ta cousine

est dans ce filet prisonnière

comme tout le peuple des sardines?

L'énervé dut scier les rets

d'où s'échappèrent les sardines

mais Lui resta dans le filet.

Il s'était trompé de cousine.

PIERRE BEARN


Fête des Mères

Je voulais, Maman gentille,
T'offrir de belles jonquilles
En un bouquet engageant.
J'ai regardé les boutiques
Mais les prix sont fantastiques
Et ma bourse a peu d'argent!

Alors, au fond de ma tête,
J'ai composé pour ta fête
Un tout petit compliment,
Et je t'offre ce poème
Pour te dire que je t'aime,
Je t'aime bien fort, Maman.

Michel Beau


 

Qui es - tu ?

Je suis enfant de Guinée,
Je suis fils du Mali,
Je sors du Tchad ou du fond du Bénin,
Je suis enfant d’Afrique...
Je mets un grand boubou blanc,
Et les blancs rient de me voir
Trotter les pieds nus
Dans la poussière du chemin...
Ils rient ?
Qu' ils rient bien
Quant à moi, je bats des mains
Et le grand soleil d’Afrique
S’ arrête au zénith pour m’ écouter
Et me regarder,
Et je chante, et je danse,
Et je chante, et je danse.

                                       Francis Bebey


 

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage

 

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province, et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine :

Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la doulceur angevine.

 

Joachim du Bellay (1522-1560)

Les Regrets

 


Qui a vu quelquefois un grand chêne asséché
Qui pour son ornement quelque trophée porte,

Lever encore au ciel sa vieille tête morte,

Dont le pied fermement n'est en terre fiché,



Mais qui dessus le champ plus qu'à demi penché

Montre ses bras tout nus et sa racine torte,

Et sans feuille ombrageux, de son poids se supporte

Sur un tronc nouailleux en cent lieux ébranché :



Et bien qu'au premier vent il doive sa ruine,

Et maint jeune à l'entour ait ferme la racine,

Du dévot populaire être seul révéré :



Qui ta chêne a pu voir, qu'il imagine encore

Comme entre les cités, qui plus florissent ore,

Ce vieil honneur poudreux est le plus honoré. 

                                                         

Joachim du Bellay

 

 

 

Pomme et poire

Pomme et poire

Dans l'armoire

 

Fraise et noix

Dans le bois

 

Sucre et pain

Dans ma main

 

Plume et colle

Dans l'école

 

Et le faiseur de bêtises

Bien au chaud dans ma chemise.

 

Luc Bérimont


 

Le golfe du Lion

est piqué tout entier de balancelles roses

qui traînent des filets immenses ou qui posent

çà et là des nasses de fond.

C'est le printemps, la mer est tendre,

elle monte, elle va s'étendre

jusqu'aux îles du Rhône où vivent les taureaux,

puis sous les amandiers, les mûriers et les figues,

jusqu'à l'étang de Berre où le bleu de ses eaux

bat la colline des Martigues.

 

Henri Bosco

 


ARBRE

 

 

Tu es plus souple que le zèbre

Tu sautes mieux que l'équateur. 

Sous ton écorce les vertèbres

font un concert d'oiseaux moqueurs. 

J'avertirai tous les poètes :

il ne faut pas toucher aux fruits

c'est là que dorment les comètes,

et l'océan s'y reconstruit.

Tu es léger comme un tropique.

Tu es plus sage qu'un poisson. 

Dans chaque feuille une réplique

est réservée pour ma chanson. 

Dès qu'on t'adresse la parole,

autour de toi s'élève un mur. 

Tu bats des branches, tu t'envoles

c'est toi qui puniras l'azur.

 

Alain Bosquet

 

 


Poème pour un enfant lointain

 

Tu peux jouer au caillou :

il suffit de ne pas bouger,

très longtemps, très longtemps.

 

Tu peux jouer à l’hirondelle :

il suffit d’ouvrir les bras

et de sauter très haut, très haut.

 

Tu peux jouer à l’étoile :

il suffit de fermer l’œil,

puis de le rouvrir,

beaucoup de fois, beaucoup de fois.

 

Tu peux jouer à la rivière :

il suffit de pleurer,

pas très fort, pas très fort.

 

Tu peux jouer à l’arbre :

il suffit de porter quelques fleurs

qui sentent bon, qui sentent bon.

 

Alain Bosquet


 

 

J’ECRIRAI

 

J’écrirai ce poème,

     pour qu'il me donne

     un fleuve doux

       comme les ailes du toucan

J’écrirai ce poème

     pour qu'il t'offre une aurore

     quand Il fait nuit

       entre ta gorge et ton aisselle

J'écrirai ce poème

            pour que dix mille marronniers

            prolongent leurs vacances

            pour que sur chaque toit

            vienne s'asseoir une comète

J'écrirai ce poème

     pour que le doute ce vieux loup

     parte en exil

            pour que tous les objets reprennent

            leurs leçons de musique

J'écrirai ce poème

            pour aimer comme on aime par surprise

            pour respecter comme on respecte en oubliant

            pour être digne

            de l'inconnu de l'impalpable

J'écrirai ce poème

            mammifère ou de bois

            il ne me coûte rien

il m'est si cher

Il vaut plus que ma vie

Alain BOSQUET


 

Mer

 

La mer écrit un poisson bleu,

efface un poisson gris.

La mer écrit un croiseur qui prend feu,

efface un croiseur mal écrit.

Poète plus que les poètes,

musicienne plus que les musiciennes,

elle est mon interprète,

la mer ancienne,

la mer future,

porteuse de pétales,

porteuse de fourrure.

Elle s’installe

au fond de moi

La mer écrit un soleil vert,

efface un soleil mauve.

La mer écrit un soleil entrouvert

sur mille requins qui se sauvent.

 

                        Alain Bosquet


 

Un enfant m’a dit

 

 

Un enfant m’a dit:

« La pierre est une grenouille endormie. »

Un autre enfant m’a dit :

« Le ciel c’est de la soie très fragile. »

Un troisième enfant m’a dit:

« L’océan quand on lui fait peur, il crie. »

Je ne dis rien, je souris.

Le rêve de l’enfant c’est une loi.

Et puis je sais que la pierre,

vraiment est une grenouille,

mais au lieu de dormir

elle me regarde.

 

Alain Bosquet  

 

Le cheval chante

 

Le cheval chante.

Le hibou miaule.

L'âne gazouille.

Le ruisseau hennit.

- C'est bien, mon enfant:

joue avec les mots.

- Le triangle est rond.

La neige est chaude.

Le soleil est bleu.

La maison voyage.

- Tu as de la chance :

les mots sont amicaux

et généreux.

- Le poisson plane.

La baleine court.

La fourchette a des oreilles.

Le train se gratte.

- Je t'avais prévenu :

maintenant les mots te mordent.

  

Alain Bosquet

 

 


 

Le rêve de la lune

 

Si la lune brille

Quand tu dors ,

C'est pour planter

Des milliers de soleils pour demain.

Si tout devient silence

Quand tu dors ,

C'est pour préparer

Le chant des milliers d'oiseaux

Et dorer les ailes des libellules.

Si la lune tombe dans tes bras

Quand tu dors ,

C'est pour rêver avec toi

Des milliers d'étoiles.

 

Marie Botturi

 

   

Le vieil homme et le chien
(Conte des temps modernes)

Transparent au regard des passants trop pressés,
Un vieil homme est assis, transi et affamé,
Sous un porche à l’abri des frimas de janvier.
Il implore un sourire, une pièce de monnaie.

Passe un chien dans la rue, un chien de pedigree,
Une voiture suit, heurte le canidé.
Aussitôt extirpés de leurs logis douillets
Accourent de partout des bourgeois empressés.

« Ne le laissez pas là, amenez-le chez moi
J’ai une couverture afin qu’il n’ait pas froid ! »
Quelques instants après, l’animal est pansé,
Dorloté, réchauffé, maintes fois caressé.

Au dehors dans la rue le silence est tombé
Tout le monde est rentré, a fermé ses volets.
Sous son porche à l’abri des frimas de janvier
Le vieil homme soudain s’est mis à aboyer.

Daniel Boy
In des Rimes et des rames
Editions de la voûte

 

 

MONDE

 

Dans le salon de madame des Ricochets

Les miroirs sont en grains de rosée pressés

La console est faite d'un bras dans du lierre

Et le tapis meurt comme les vagues

Dans le salon de madame des Ricochets

Le thé de lune est servi dans des oeufs d'engoulevent

Les rideaux amorcent la fonte des neiges

Et le piano en perspective perdue sombre d'un seul bloc dans la nacre

Dans le salon de madame des Ricochets

Dés lampes basses en dessous de feuilles de tremble

Lutinent la cheminée en écailles de pangolin

Quand madame des Ricochets sonne

Les portes se fendent pour livrer passage aux servantes en escarpolette

 

André Breton