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Sully Prudhomme, René François
Passage de l'arbre
Feu que les hommes regardent dans la nuit, dans la nuit profonde, Feu qui brûles et ne chauffes pas, qui brilles et ne brûles pas, Feu qui voles sans corps, sans cœur, qui ne connais case ni foyer, Feu transparent des palmes, un homme sans peur t’invoque. Feu des sorciers, ton père est où ? Ta mère est où ? Qui t’a nourri ? Tu es ton père, tu es ta mère, tu passes et ne laisses traces. Le bois sec ne t’engendre, tu n’as pas les cendres pour filles, tu meurs et ne meurs pas. L’âme errante se transforme en toi, et nul ne le sait. Feu des sorciers, Esprit des eaux inférieures, Esprit des airs supérieurs, Fulgore qui brilles, luciole qui illumines le marais, Oiseau sans aile, chose sans corps, Esprit de la Force du Feu, Écoute ma voix : un homme sans peur t’invoque. Léopold Sedar Senghor
Parmi les voitures assoupies, Les camions-poubelles Avalent des chaises, des os, Une boîte de maïs, Des emballages de petits-suisses, Des côtelettes de petits veaux. Ils avalent tout, Mais ils laissent les mauvaises nouvelles A ceux qui se lèvent trop tôt, Les camions-poubelles Frôlant les autos.
Ah ! la jolie sandwicherie dont la salade marque les pages d'un roman en pain de mie. J'y lis: "La vie est une bille de mie de pain. On la mange, et hop ! on a toujours faim!" Sous son store jaune canari, Ah, comme elle est simple et jolie l'histoire de la sandwicherie !
Pour chacun une bouche deux yeux deux mains deux jambes Rien ne ressemble plus à un homme qu’un autre homme Alors entre la bouche qui blesse et la bouche qui console entre les yeux qui condamnent et les yeux qui éclairent entre les mains qui donnent et les mains qui dépouillent entre le pas sans trace et les pas qui nous guident où est la différence la mystérieuse différence ?
Et lui dort-il sous les voiles il écoute le vent son complice il regarde la terre ferme son ennemie sans envie et la boussole est près de son cœur immobile Il court sur les mers à la recherche de l’axe invisible du monde Il n’y a pas de cris pas de bruit des chiffres s’envolent et la nuit les efface Ce sont les étoiles sur l’ardoise du ciel Elles surveillent les rivières qui coulent dans l’ombre et les amis du silence les poissons mais ses yeux fixent une autre étoile perdue dans la foule tandis que les nuages passent doucement plus fort que lui lui lui
Philippe Soupault
Il faut
apprendre à sourire Philippe Soupault
Laissez chanter l’eau qui chante Laissez courir l’eau qui court Laissez vivre l’eau qui vit l’eau qui bondit l’eau qui jaillit Laissez dormir l’eau qui dort Laissez mourir l’eau qui meurt.
Philippe Soupault
Grammaire
Peut-être et toujours peut-être
Donnez-moi
Donnez-moi je vous prie
Vos ciseaux
Vos couteaux
Vos sabots
Vos bateaux
Donnez-moi tout je vous prie
Je rémoule et je scie
Donnez-moi je vous prie
Vos cisailles
Vos tenailles
Vos ferrailles
Vos canailles
Donnez-moi tout je vous prie
Je rémoule et je scie
Donnez-moi je vous prie
Vos fusils
Vos habits
Vos tapis
Vos ennuis
Je rémoule et je fuis.
Sept veaux c'est peu sept œufs c'est beaucoup
Mille huit cent quatre-vingt-douze c'est sec Mille huit cent quatre-vingt-dix-sept c'est trop
Pomme poire et pendulette c'est émouvant
Rien n'égale la satinette c'est évident
N'essayez pas de m'arrêter c'est décidé
la lune l'orage et le poirier c'est lune.
Philippe Soupault
Ne...
Quand je valais quelque chose, Digue, digue, digue, Quand je valais quelque chose.
Ne touche pas au feu, Me disait le grand-oncle;
N’ouvrez pas cette armoire, Me disait la servante;
N’approche pas du puits, Me disait la grand-mère;
Ne marche pas si vite , Tu te mettras en nage;
Ne cause pas en route, Ne regarde pas en l’air;
Ne regarde pas à droite, Il y a la fleuriste;
Ne regarde pas à gauche, Il y a le libraire;
Ne passe pas la rivière, Ne monte pas la colline, Ne monte pas dans le bois.
Moi j'ai pris mon chapeau En éclatant de rire, Mon manteau, mon bâton En chantant: digue, digue!
La rivière, la colline, Les grands bois, digue, digue ! Digue, digue, les beaux yeux, Et digue, digue les livres ! André SpirePoème de Loire – éditions Grasset
Quand j'étais malade, en mon lit, (Sous ma tête deux oreillers) Mes jouets étant rassemblés, Me tenant bonne compagnie. Parfois, pour un temps assez long, J'observais mes soldats de plomb, À la manœuvre, allant au pas Parmi les collines des draps. J'envoyais bateaux, cargaisons, Au gré des flots de couvertures, Ou bien pour mes cités futures Mettais en place arbres maisons. J'étais le géant silencieux Qui de sa pile d'oreillers Voyait les plaines, les vallées Du pays de l'édredon bleu.
Trois des nôtres à flot balancés dans le pré, Trois des nôtres dans l'herbe à bord d'un gros panier. Soufflent dans le printemps les vents qui sont dans l'air, Les vagues dans le pré sont vagues de la mer. En étant embarqués, où tenter la conquête, Guidés par une étoile et bravant la tempête? En route pour l'Afrique, installés à la barre, Pour Babylone, ou Rhode Island, ou Malabar? Voici une armada qui nage dans la mer Bétail sur la prairie tout à fait enragé, Qui charge en mugissant! Vite il faut nous sauver: Le perron est le port, le potager la terre.
Chaque arbre est immobile, attentif à tout bruit. Même le peuplier tremblant retient son souffle L'air pèse sur le dos des collines, il luit Comme un métal incandescent et l'heure essouffle. Les moineaux buissonniers se sont tous dispersés Avec le vol aigu et les cris d'hirondelles, Et des mouettes vont, traînant leurs larges ailes, Dans l'air lourd à gravir et lourd à traverser. L'éclair qui brille au loin semble une brusque entaille Et, tandis que hennit un cheval de labour, Les nuages vaillants qui vont à la bataille Escaladent l'azur âpre comme une tour. Mais soudain, l'arc-en-ciel luit comme une victoire Chaque arbre est un archer qui lance des oiseaux, Et les nuages noirs qu'un soleil jeune moire, Enivrés, sont partis pour des combats nouveaux.
Jules
Supervielle
Le soleil sur Vénus se lève Sur la planète un petit bruit. Est-ce une barque qui traverse Sans rameur un lac endormi, Est-ce un souvenir de la terre Venu gauchement jusqu'ici, Une fleur tournant sur sa tige Son visage vers la lumière Parmi ces roseaux sans oiseaux Piquant l'inhumaine atmosphère ? Jules Supervielle
Un bœuf gris de la Chine Couché dans son étable Allonge son échine Et dans le même instant Un bœuf de l'Uruguay Se retourne pour voir Si quelqu'un a bougé. Vole sur l'un et l'autre A travers jour et nuit L'oiseau qui fait sans bruit Le tour de la planète Et jamais ne la touche Et jamais ne s'arrête. Jules Supervielle
Quarante enfants dans une salle, Un tableau noir et son triangle, Un grand cercle hésitant et sourd Son centre bat comme un tambour
Des lettres sans mots ni patrie Dans une attente endolorie.
Le parapet dur d’un trapèze, Une voix s’élève et s’apaise Et le problème furieux Se tortille et se mord la queue.
La mâchoire d’un angle s’ouvre. Est-ce une chienne ? Est-ce une louve ?
Et tous les chiffres de la terre, Tous ces insectes qui défont Et qui refont leur fourmilière Sous les yeux fixes des garçons.
Jules Supervielle
Les amis
inconnus
Il vous naît un
poisson qui se met à tourner
Jules Supervielle (1884-1960),
Les amis inconnus,
1934 – éditions Gallimard
ARBRE
Le long du quaiLe long des quais
les grands vaisseaux, (Recueil : Stances et poèmes)
Muse-musaraigne
N’aime pas les châtaignes
N’aime pas les glands
Ni la mousse
Ni les pousses
Du sureau tout blanc.
Muse-musaraigne
Les mouches la craignent
Et les vers luisants
Mais pas les harengs
Ni les enfants ni les éléphants
Anne Sylvestre
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