Cadou,   René Guy

Carbet, Marie-Magdeleine

Carême,  Maurice    Nous remercions la Fondation Maurice Carême pour son aide (contact: Fondation Maurice Carême - 14 avenue Melba - 1070 BRUXELLES) 

Cendrars, Blaise

Chabert, Pierre

Chabrun, Jean-François 

CHAO MENG FU 

Charpentreau, Jacques 

Cocteau, Jean

Coran, Pierre 

Corbière, Tristan

Corneille, Pierre

Couliou, Chantal 

Cousin, Gabriel 

Cros, Guy-Charles 

 

 

 

 

 

 

Des oeufs dans la haie

Fleurit l'aubépin

Voici le retour

Des marchands forains

 

Et qu'un gai soleil

Pailleté d'or fin

Eveille les bois

Du pays voisin

 

Est-ce le printemps

Qui cherche son nid

Sur la haute branche

Où niche la pie ?

 

C'est mon coeur marqué

Par d'anciennes pluies

Et ce lent cortège

D'aubes qui le suit.

René Guy Cadou  

 

 

AVANT-PRINTEMPS

 

 

Des oeufs dans la haie

Fleurit l'aubépin

Voici le retour

Des marchands forains.

 

Et qu'un gai soleil

Pailleté d'or fin

Eveille les bois

Du pays voisin

 

Est-ce le printemps

Qui cherche son nid

Sur la haute branche

Où niche la pie ?

 

C'est mon coeur marqué

Par d'anciennes pluies

Et ce lent cortège

D'aubes qui le suit.

 

René-Guy Cadou

AUTOMNE

Odeur des pluies de mon enfance

Derniers soleils de la saison !

A sept ans comme il faisait bon,

Après d'ennuyeuses vacances,

Se retrouver dans sa maison !

 

La vieille classe de mon père,

Pleine de guêpes écrasées,

Sentait l'encre, le bois, la craie

Et ces merveilleuses poussières

Amassées par tout un été.

 

0 temps charmant des brumes douces,

Des gibiers, des longs vols d'oiseaux,

Le vent souffle sous le préau,

Mais je tiens entre paume et pouce

Une rouge pomme à couteau.

 

 

René Guy Cadou

 

 

Les amis d’enfance

 

Je me souviens du grand cheval

Qui promenait tête et crinière

Comme une, grappe de lumière

Dans la nuit du pays natal.

 

Qui me dira mon chien inquiet,

Ses coups de pattes dans la porte,

Lui qui prenait pour un gibier

Le tourbillon des feuilles mortes?

 

Maintenant que j’habite en ville

Un paysage sans jardins,

Je songe à ces anciens matins

Tout parfumés de marguerites.

 

                        René Guy Cadou

 

Des chevaux et des chiens

 

Les chevaux et les chiens

Parlent mieux que les hommes

Et savent de très loin

Reconnaître le ciel

 

Ils n’ont pour eux que l’herbe

Et la grave tendresse

Des bêtes qui remuent

Tristement le passé

 

Mais dans leurs yeux inquiets

Des choses et des hommes

Passe parfois l’éclair

D’une saison future.

 

René-Guy Cadou


 

 

L’esprit du feu

 

Feu

Devant lequel je suis seul ce soir

Avec mes mains et cette armure végétale

Où se brise mon sang

Profitons du moment

Pour tout dire

Steppe rouge beauté

Lassos de tendre chair

Je suis le cavalier qui traverse cet air

Où le fauve bondit dans les cercles des flammes

Feu sur moi sur mon front

Dans mes yeux difficiles

Et sur la vitre lourde éclaboussée d’embruns.

 

                        René-Guy Cadou  

Un enfant précoce

 

Une lampe naquit sous la mer

Un oiseau chanta

Alors dans un village reculé

Une petite fille se mit à écrire

Pour elle seule

Le plus beau poème

Elle n'avait pas appris l'orthographe

Elle dessinait dans le sable

Des locomotives

Et des wagons pleins de soleil

Elle affrontait les arbres gauchement

Avec des majuscules enlacées et des cœurs

Elle ne disait rien de l'amour

Pour ne pas mentir

Et quand le soir descendait en elle

Par ses joues

Elle appelait son chien doucement

 

Et disait

"Et maintenant cherche ta vie."

  

René Guy Cadou

 

Bientôt l'arbre

Verdoyante fumée

Demain je serai l'arbre

Et pour les oiseaux froids

La cage fortunée

 

Les grandes migrations 

Sont parties de ma bouche

De mes yeux plein d'épis

Les éclairs de santé

 

Je te suis dans l'air bleu

Flèche douce à la paume

Bel arbre que j'éveille

Au bord de mes genoux

Tronc si blanc qu'il n'est plus

Qu'une neige attentive

 

Tu courbe vers le toit

Tes brandons de lumière

ta sève jour et nuit

Chante dans les gouttières

 

On te fête déjà

Dans les rues de villages

Ainsi qu'une saison

Inconnue de la terre

 

Et toi dans les sillons

Sans borne où les perdrix

Gaspillent pour la joie

Des poignées de sel gris

Tu marches répondant

De la douceur des pierres.

                               René-Guy Cadou

 

 

 

L’acacia

 

Le vent

Passait, pleurant.

L'acacia dit :

" Vent d'automne

Au front gris

Tu t'ennuies.

Je te donne

Mes feuilles,

Prends, cueille

Et va jouer au volant

Avec ton amie

La pluie.

Le printemps

En son temps

M'en fera de plus jolies. "

 

Marie-Magdeleine Carbet

 


Nous remercions la Fondation Maurice Carême pour son aide (contact: Fondation Maurice Carême - 14 avenue Melba - 1070 BRUXELLES) 

Ah ! que de merveilles scintillent

Lorsque danse une goutte d'eau !

Un ange parfois joue aux billes,

Une étoile tombe au ruisseau.

On ne sait jamais quel manteau

De fée courant dans les jonquilles

On peut coudre avec une aiguille

En rêvant derrière un carreau.

 

Maurice Carême

 


Étranges fleurs

L'automne met dans les lilas
D'étranges fleurs que nul ne voit,

Des fleurs aux tons si transparents
Qu'il faut avoir gardé longtemps

Son âme de petit enfant
Pour les voir le long des sentiers

Et pour pouvoir les assembler
En un seul bouquet de clarté

Comme font, à l'aube, les anges
Les mains pleines d'étoiles blanches...

Maurice Carême

 

LE NUAGE

 

Un nuage, parmi les autres,

Reforme sans cesse un visage.

 

Il promène sur les villages

Un regard dont il ne sait rien,

Et s'il sourit au paysage,

Ce sourire n'est pas le sien.

 

Mais l'homme qui le voit sourire

Et qui sourit à son passage,

En sut-il jamais davantage ?

 

Maurice Carême


 

 

LE BOULEAU

 

 

Chaque nuit, le bouleau

Du fond de mon jardin

Devient un long bateau

Qui descend ou l'Escaut

Ou la Meuse ou le Rhin.

Il court à l'Océan

Qu'il traverse en jouant

Avec les albatros,

Salue Valparaiso,

Crie bonjour à Tokyo

Et sourit à Formose.

Puis, dans le matin rose

Ayant longé le Pôle,

Des rades et des môles,

Lentement redevient

Bouleau de mon jardin.

 

Maurice Carême


 

 

Il pleut doucement, ma mère,

Et c’est l’automne

Si doucement

Que c’est la même pluie

Et le même automne

Qu’il y a bien des ans.

 

Il pleut et il y a encore,

Comme il y a bien des ans,

Combien de cœurs au fil de l’eau

Et combien de petits sabots

Rêvant au coin de l’âtre.

 

Et c’est le soir, ma mère,

Et tes genoux sont là

Si près du feu

Que c’est le même soir

Et les mêmes genoux

Qu’il y a bien des ans.

 

Il pleut doucement, ma mère,

Et c’est l’automne

Et c’est le soir, ma mère,

Et tes genoux sont là.

 

Prends-moi sur tes genoux, ce soir,

Comme il y a bien des ans

Et raconte-moi l'histoire

De la Belle au bois dormant.

 

                                    Maurice Carême


 

 

L'ECOLIERE

 

 

Bon Dieu ! que de choses à faire!

Enlève tes souliers crottés,

Pends donc ton écharpe au vestiaire,

Lave tes mains pour le goûter,

 

Revois tes règles de grammaire.

Ton problème, est-il résolu ?

Et la carte de l'Angleterre,

Dis, quand la dessineras-tu ?

 

Aurai-je le temps de bercer

Un tout petit peu ma poupée,

De rêver, assise par terre,

Devant mes châteaux de nuées ?

Bon Dieu ! que de choses à faire

 

Maurice Carême

 

J’aime ma mère

 

J’aime ma sœur

Pour ses yeux clairs,

J’aime mon frère

Pour sa candeur,

J’aime mon père

Pour sa douceur

Et je ne dois

Sûrement pas

Dire pourquoi

J’aime ma mère.

Je me demande

Même parfois

Si je ne l’aime

Pas plus que moi.

N’est-elle pas

La vraie lumière

Qui nous éclaire,

Ma sœur, mon frère,

Mon père et moi?

 

Maurice Carême


 

 

 

Pour mon père

 

Mon père aimé, mon père à moi,

Toi qui me fais bondir

Sur tes genoux

Comme un chamois,  

Que pourrais-je te dire

Que tu ne sais déjà ?  

Il fait si doux

Quand ton sourire

Eclaire tout 

Sous notre toit.  

Je me sens fort, je me sens roi,

Quand je marche à côté de toi.

 

Maurice carême

 

 

 

Mon coeur                    

- Ton coeur,                   
Mais c'est une noisette,                         
Prétend ma cousine Antoinette.            

- Ton coeur,                   
Mais c'est du massepain,                      
Me dit souvent parrain.                            

- Ton coeur,                  
Mais c'est du beurre,                             
Me répète à toute heure                         

Tante Solange.               

Moi, je veux bien,                                   

Mais je ne veux pas qu'on le mange :
J'y tiens !

Maurice Carême

 

 

 

 

Le chat et le soleil

Le chat ouvrit les yeux,
Le soleil y entra.
Le chat ferma les yeux,
Le soleil y resta.

Voilà pourquoi, le soir,
Quand le chat se réveille,
J'aperçois dans le noir
Deux morceaux de soleil.

Maurice Carême

 

 

 

 

Ma gomme

 

Avec ma gomme, dit l’enfant

-La gomme que j’ai dans le cœur-

Je puis rayer tous les malheurs.  

Avec ma gomme, dit l’enfant,

Je pourrais faire disparaître

L’univers et tous ses vivants.  

Mais qui jamais sur cette terre

-Fût-il le Dieu le plus fûté -

Serait capable d’effacer  

Avec sa gomme de lumière

Le beau visage de ma mère

Du livre de l’éternité !

 

 

Maurice Carême


 

  

 

Maman

 

J’ai de toi une image

Qui ne vit qu’en mon cœur.

Là, tes traits sont si purs

Que tu n’as aucun âge.  

Là, tu peux me parler

Sans remuer les lèvres,

Tu peux me regarder

Sans ouvrir les paupières.  

Et lorsque le malheur

M’attend sur le chemin,

Je le sais par ton cœur

Qui bat contre le mien.

 

Maurice Carême

 

 

 

Deux petits éléphants

C'était deux petits éléphants,
Deux petits éléphants tout blancs.


Lorsqu'ils mangeaient de la tomate,
Ils devenaient tout écarlates.


Dégustaient-ils un peu d'oseille,
On les retrouvait vert bouteille.


Suçaient-ils une mirabelle,
Ils passaient au jaune de miel.


On leur donnait alors du lait :
Ils redevenaient d'un blanc tout frais.


Mais on les gava, près d'Angkor,
Pour le mariage d'un raja,


D'un grand sachet de poudre d'or.
Et ils brillèrent, ce jour-là,


D'un tel éclat que plus jamais,
Même en buvant des seaux de lait,


Ils ne redevinrent tout blancs,
Ces jolis petits éléphants.

Maurice Carême


 

 

 

 

Avez-vous vu?

Avez-vous vu le dromadaire
Dont les pieds ne touchent pas terre?

Avez-vous vu le léopard
Qui aime loger dans les gares?

Avez-vous vu le vieux lion
Qui joue si bien du violon?

 Avez-vous vu le kangourou
Qui chante et n'a jamais le sou?

Avez-vous vu l'hippopotame
Qui minaude comme une femme?

Avez-vous vu le perroquet
Lançant très haut son bilboquet?

Avez-vous vu la poule au pot
Voler en rassemblant ses os?

Mais moi, m'avez-vous bien vu, moi,
Que personne jamais ne croit?

Maurice Carême


Liberté

Prenez du soleil
Dans le creux des mains,
Un peu de soleil
Et partez au loin!

Partez dans le vent,
Suivez votre rêve ;
Partez à l'instant,
La jeunesse est brève !

Il est des chemins
Inconnus des hommes,
Il est des chemins
Si aériens !

Ne regrettez pas
Ce que vous quittez.
Regardez, là-bas,
L'horizon briller.

Loin, toujours plus loin,
Partez en chantant !
Le monde appartient
A ceux qui n'ont rien.

Maurice Carême                                               

 

 

  

LES OISEAUX PERDUS

 

Le matin compte ses oiseaux

Et ne retrouve pas son compte.

 

Il manque aujourd'hui trois moineaux,

Un pinson et quatre colombes.

 

Ils ont volé si haut, la nuit,

Volé si haut, les étourdis,

 

Qu'à l'aube ils n'ont plus trouvé trace

De notre terre dans l'espace.

 

Pourvu qu'une étoile filante

Les prenne sur sa queue brillante

 

Et les ramène ! Il fait si doux

Quand les oiseaux chantent pour nous.

 

Maurice Carême


 

 

 

Le brouillard

 

Le brouillard a tout mis

Dans son sac de coton ;

Le brouillard a tout pris

Autour de ma maison.

 

Plus de fleur au jardin,

Plus d’arbre dans l’allée ;

La serre du voisin

Semble s’être envolée.

 

Et je ne sais vraiment

Où peut s’être posé

Le moineau que j’entends

Si tristement crier.

 

Maurice Carême


Pour dessiner un bonhomme

 

Deux petits ronds dans un grand rond.

Pour le nez, un trait droit et long.

Une courbe dessous, la bouche.

Et pour chaque oreille, une boucle.

 

Sous le beau rond, un autre rond

Plus grand encore et plus oblong.

On peut y mettre des boutons :

Quelques gros points y suffiront.

 

Deux traits vers le haut pour les bras

Grands ouverts en signe de joie,

Et puis deux jambes, dans le bas,

Qu’il puisse aller où il voudra.

 

Et voici un joli bonhomme

Rond et dodu comme une pomme

Qui rit d’être si vite né

Et de danser sur mon papier.

 

Maurice Carême


Il a neigé

Il a neigé dans l'aube rose

Si doucement neigé 

Que le chaton noir croit rêver.

C'est à peine s'il ose

Marcher.

 

 Il a neigé dans l'aube rose ,

Si doucement neigé 

Que les choses

Semblent avoir changé.

 

 Et le chaton noir n'ose

S'aventurer dans le verger ,

Se sentant soudain étranger

A cette blancheur où se posent ,

Comme pour le narguer,

Des moineaux effrontés.

Maurice Carême


Mon petit chat

 J'ai un petit chat ,

Petit comme ça.

Je l'appelle Orange.

 

Je ne sais pas pourquoi

Jamais il ne mange

Ni souris ni rat.

 

C'est un chat étrange

Aimant le nougat

Et le chocolat.

 

Mais c'est pour cela ,

Dit tante Solange ,

Qu'il ne grandit pas !

Maurice Carême


 

Notre école

  

Notre école se trouve au ciel.

Nous nous asseyons près des anges

Comme des oiseaux sur les branches.

Nos cahiers d’ailleurs ont des ailes.

 

A midi juste, l’on y mange,

Avec du vin de tourterelle,

Des gaufres glacées à l’orange.

Les assiettes sont en dentelle.

 

Pas de leçons, pas de devoirs.

Nous jouons quelquefois, le soir,

Au loto avec les étoiles.

 

Jamais nous ne rêvons la nuit

Dans notre petit lit de toile.

L’école est notre paradis.

Maurice Carême


Le givre

 

Mon Dieu ! comme ils sont beaux

Les tremblants animaux

Que le givre a fait naître

La nuit sur ma fenêtre

 

Ils broutent des fougères

Dans un bois plein d’étoiles,

Et l’on voit la lumière

A travers leurs corps pâles.

 

Il y a un chevreuil

Qui me connaît déjà ;

Il soulève pour moi

Son front d’entre les feuilles.

 

Et quand il me regarde,

Ses grands yeux si doux

Que je sens mon cœur battre

Et trembler mes genoux.

 

Laissez moi, ô décembre !

Ce chevreuil merveilleux.

Je resterai sans feu

Dans ma petite chambre.

 

                       Maurice Carême


 AU CIRQUE



Ah ! si le clown était venu !
Il aurait bien ri, mardi soir :
UN magicien en cape noire
A tiré d'un petit mouchoir
Un lapin, puis une tortue
Et, après, un joli canard.
Puis il les a fait parler
En chinois, en grec, en tartare.
Mais le clown était enrhumé :
Auguste était bien ennuyé.
Il dut faire l'équilibriste
Tous seul sur un tonneau percé.
C'est pourquoi je l'ai dessiné
Avec des yeux tout ronds, tout tristes
Et de grosses larmes qui glissent
Sur son visage enfariné.


MAURICE CARÊME


  Tu es belle, ma mère

Tu es belle, ma mère,
Comme un pain de froment.
Et, dans tes yeux d'enfant,
Le monde tient à l'aise.

Ta chanson est pareille
Au bouleau argenté
Que le matin couronne
D'un murmure d'abeilles.

Tu sens bon la lavande,
La cannelle et le lait ;
Ton coeur candide et frais
Parfume la maison,

Et l'automne est si doux
Autour de tes cheveux
Que les derniers coucous
Viennent te dire adieu.

Maurice Carême

 

La tranche de pain

Un enfant seul,
Tout seul avec en main
Une belle tranche de pain,
Un enfant seul
Avec un chien
Qui le regarde comme un dieu
Qui tiendrait dans sa main
La clé du paradis des chiens.
Un enfant seul
Qui mord dans sa tranche de pain,
Et que le monde entier
Observe pour le voir donner
Avec simplicité,
Alors qu'il a très faim,
La moitié de son pain
Bien beurré à son chien.

Maurice Carême

 

 

Le goûter

On a dressé la table ronde
Sous la fraîcheur du cerisier.
Le miel fait les tartines blondes,
Un peu de ciel pleut dans le thé.

On oublie de chasser les guêpes
Tant on a le coeur généreux.
Les petits pains ont l'air de cèpes
Egarés sur la nappe bleue.

Dans l'or fondant des primevères,
Le vent joue avec un chevreau ;
Et le jour passe sous les saules,

Grave et lent comme une fermière
Qui porterait, sur son épaule,
Sa cruche pleine de lumière.

Maurice Carême

 

 

L'ECOLE

L’école était au bord du monde,
L’école était au bord du temps.
Au dedans, c’était plein de rondes ;
Au dehors, plein de pigeons blancs.

On y racontait des histoires
Si merveilleuses qu’aujourd’hui,
Dès que je commence à y croire,
Je ne sais plus bien où j’en suis.

Des fleurs y grimpaient aux fenêtres
Comme on n’en trouve nulle part,
Et, dans la cour gonflée de hêtres,
Il pleuvait de l’or en miroirs.

Sur les tableaux d’un noir profond,
Voguaient de grandes majuscules
Où, de l’aube au soir, nous glissions
Vers de nouvelles péninsules.

L’école était au bord du monde,
L’école était au bord du temps.
Ah ! que n’y suis-je encor dedans
Pour voir, au dehors, les colombes !

Maurice Carême

 

Alphabet

A c'est l'âne agaçant l'agnelle,
B c'est le boulevard sans bout,
C la compote sans cannelle,
D le diable qui dort debout.

E c'est l'école, les élèves,
F le furet féru de grec,
G la grive grisant la grève,
H c'est la hache et l'homme avec.

I c'est l'ibis berçant son île,
J Le jardin sans jardinier,
K le képi du chef kabyle,
L le lièvre fou à lier.

M c'est le manteau bleu des mages,
N la neige bordant le nid,
O l'oranger pris dans l'orage,
P le pain léger de Paris.

Q c'est la quille sur le quai,
R la rapière d'or du roi,
S le serpent qui s'est masqué,
T la tour au-dessus des toits.

U c'est l'usine qui s'allume,
V le vol du vent dans la voile,
W le wattman de lune,
X le xylophone aux étoiles.

Y c'est les yeux doux du yack
Oublié dans le zodiaque,
Z le zigzag brusque du zèbre
Qui s'enfuit dans les ténèbres,

Malheureux parce qu'il est
Le dernier de l'alphabet.

Maurice Carême

   

Ponctuation

 

- Ce n'est pas pour me vanter,

 

Disait la virgule

            Mais, sans mon jeu de pendule,

            Les mots, tels des somnambules,

            Ne feraient que se heurter.

 

- C'est possible, dit le point.

            Mais je règne, moi,

            Et les grandes majuscules

Se moquent toutes de toi

Et de ta queue minuscule.

 

- Ne soyez par ridicules,

            Dit le point-virgule,

            On vous voit moins que la trace

De fourmis sur une glace.

Cessez vos conciliabules.

 

Ou, tous deux, je vous remplace !

 

 

Maurice Carême

 

L’automne

 

L 'automne au coin du bois,

Joue de l'harmonica.

Quelle joie chez les feuilles !

Elles valsent au bras

Du vent qui les emporte.

On dit qu'elles sont mortes,

Mais personne n'y croit.

L 'automne au coin du bois,

Joue de l'harmonica.

 

 

Maurice Carême

 

Le hibou

 

Caillou, genou, chou, pou, joujou, bijou,

Répétait sans fin le petit hibou.

 

Joujou, bijou, pou, chou, caillou, genou,

Non, se disait-il, non, ce n'est pas tout.

 

Il y en a sept pourtant, sept en tout :

Bijou, caillou, pou, genou, chou, joujou.

 

Ce n'est ni bambou, ni clou, ni filou...

Quel est donc le septième ? Et le hibou,

 

La patte appuyée au creux de sa joue,

Se cachait de honte à l'ombre du houx.

 

Et il se désolait, si fatigué

Par tous ses devoirs de jeune écolier

 

Qu'il oubliait, en regardant le ciel

Entre les branches épaisses du houx,

 

Que son nom, oui, son propre nom, hibou,

Prenait, lui aussi, un X au pluriel.

  

Maurice Carême

 

J’ai crié Avril

 

J'ai crié. " Avril ! "

 

À travers la pluie,

Le soleil a ri.

 

J'ai crié. " Avril ! "

 

Et des hirondelles

 Ont bleui le ciel.

 

J'ai crié. " Avril ! "

 

Et le vert des prés

S'est tout étoilé.

 

J'ai crié. " Avril !

 

Veux-tu me donner

Un beau fiancé ? "

 

Mais, turlututu,

Il n 'a rien répondu.

  

Maurice Carême

 

 

Gare isolée

 

On allume les lampes.

Un dernier pinson chante.

La gare est émouvante

En ce soir de septembre.

 

Elle reste seule

À l’écart des maisons,

Si seule à regarder

L’étoile du berger

Qui pleure à l’horizon

Entre deux vieux tilleuls.

 

Parfois un voyageur

S’arrête sur le quai,

Mais si las, si distrait,

 

Qu’il ne voit ni les lampes,

Ni le pinson qui chante,

Ni l’étoile qui pleure

En ce soir de septembre.

 

Et la banlieue le cueille,

Morne comme le vent

Qui disperse les feuilles

Sur la gare émouvante

Et plus seule qu’avant.

 

Maurice Carême

 

 

 

ILES

 

Iles

Iles

Iles où l'on ne prendra jamais terre

Iles où l'on ne descendra jamais

Iles couvertes de végétations

Iles tapies comme des jaguars

Iles muettes

Iles immobiles

Iles inoubliables et sans nom

je lance mes chaussures par-dessus bord car je voudrais bien aller jusqu'à vous

 

Blaise Cendrars

                                                                                   

 

DANS LE RAPIDE DE 19 H. 40


Voici des années que je n'ai plus pris le train
J'ai fait des randonnées en auto
En avion
Un voyage en mer et j'en refais un autre un plus long

Ce soir me voici tout à coup dans ce bruit de chemin de
fer qui m'était si familier autrefois
Et il me semble que je le comprends mieux qu'alors

Wagon-restaurant
On ne distingue rien dehors
Il fait nuit noire
Le quart de lune ne bouge pas quand on le regardeMais il est tantôt à gauche, tantôt à droite du train

Le rapide fait du 110 à l'heure
Je ne vois rien

Cette sourde stridence qui me fait bourdonner les tym-
pans - le gauche en est endolori - c'est le passage
d'une tranchée maçonnée
Puis c'est la cataracte d'un pont métallique
La harpe martelée des aiguilles la gifle d'une gare le
double crochet à la machoire d'un tunnel furibond
Quand le train ralentit à cause des inondations on entend
un bruit de water-chute et les pistons échauffés de la
cent tonnes au milieu des bruits de vaisselle et de frein
Le Havre autobus ascenceur

J'ouvre les persiennes de la chambre d'hôtel
Je me penche sur les bassins du port et la grande lueur
froide d'une nuit étoilée
Une femme chatouillée glousse sur le quai
Une chaîne sans fin tousse geint travaille

Je m'endort la fenêtre ouverte sur ce bruit de basse-cour
Comme à la campagne

Blaise Cendrars

Feuilles de route – éditions Denoël

 

 

En ce temps-là…

En ce temps-là, j'étais en mon adolescence
J'avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance
J'étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance
J'étais à Moscou dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares
Et je n'avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours
Car mon adolescence était si ardente et si folle
Que mon coeur tour à tour brûlait comme le temple d'Ephèse ou comme la Place Rouge de Moscou quand le soleil se couche.
Et mes yeux éclairaient des voies anciennes.
Et j'étais déjà si mauvais poète
Que je ne savais pas aller jusqu'au bout.

Le Kremlin était comme un immense gâteau tartare croustillé d'or,
Avec les grandes amandes des cathédrales, toutes blanches
Et l'or mielleux des cloches...
Un vieux moine me lisait la légende de Novgorode
J'avais soif
Et je déchiffrais des caractères cunéiformes
Puis, tout à coup, les pigeons du Saint-Esprit s'envolaient sur la place
Et mes mains s'envolaient aussi avec des bruissements d'albatros
Et ceci, c'était les dernières réminiscences
Du dernier jour
Du tout dernier voyage
Et de la mer.

Blaise Cendrars (1887-1961) in La Prose du Transsibérien, éditions Denoël

 

Guêpe

 

Avec ton tricot rayé

tes grandes lunettes

cette étroitesse

à chacun tu plais

vraiment intelligente

mais surtout motivée

plongeant dans mon assiette

Comme j'aime ta faim

de tartines de crêpes

de viandes et de cèpes

ta faim de toute chose

de l'avenir qui vient

Oh voir une minute

le soleil en pointillé

dans ton œil à facettes

  

Pierre Chabert

BONJOUR

 

Matin matin

petit matin perdu dans le grand matin

Bonjour petit matin du jour

 

Bonjour de plume et de poil

et poutre et paille

Bonjour de sac et de corde

et d'amour et d'eau franche

 

Bonjour du pain et du vin

Bonjour de l'herbe et du vent

et nuit et jour

et le diable et son train

 

Bonjour les baguettes du soleil

battent sur le tambour des routes

de fer et de feu

de paille et de poutre

 

et d'amour et d'eau fraîche

Jean-François Chabrun


 

 

La tisseuse

 

 

A la septième lune, l'été reste brûlant.

Tout le jour, la tisseuse est à son métier.

Sans même coiffer ses cheveux en désordre,

De sa main écartant d'abondantes sueurs.

 

Les oiseaux de la saison chantent,

Les fleurs de grenadier flamboient.

Mais penchée sur le fil qui court,

Comment se réjouir des sons et des couleurs?

Elle tisse les pièces de soie

Qui vont habiller jeunes et vieux.

 

La nuit sa lampe aux lueurs bleues éclaire la' navette,

Les grillons crissent devant sa fenêtre.

Qu'aura-t-elle pour tant d'efforts?

Tout juste de quoi se couvrir.

 

Mariée à un paysan,

Elle peine tout au long de l'année.

  

CHAO MENG FU (1254-1322)


 

 

C'est place de la Concorde à Paris

qu'un enfant assis au bord des fontaines

entre à pas de rêve au cœur de la nuit

fraîche comme l'eau claire des fontaines

 

Un enfant de nuit de rêve d'espoir

qui voudrait pouvoir lutter sans répit

contre son sommeil pour apercevoir

ses rêves de nuit venir à la vie

 

Toutes les voitures avec leurs phares

toutes les voitures tracent pour lui

des lignes de feu flottant dans la nuit

comme de longs fils de vierge où Paris

retient son cœur ses rêves ses espoirs

 

Jacques Charpentreau


L'école

Dans notre ville il y a

Des tours , des maisons par milliers ,

Du béton ,des blocs ,des quartiers ,

Et puis mon coeur , mon coeur qui bat

Tout bas. 

 

Dans mon quartier ,il y a

Des boulevards ,des avenues ,

Des places , des ronds-points , des rues

Et puis mon coeur , mon coeur qui bat

Tout bas .

 

Dans notre rue il y a

Des autos , des gens qui s'affolent ,

Un grand magasin ; une école ,

Et puis mon coeur , mon coeur qui bat

Tout bas .

 

Dans cette école , il y a

Des oiseaux qui chantent tout le jour

Dans les marronniers de la cour.

Mon coeur , mon coeur , mon coeur qui bat

Est là.

 

Jacques Charpentreau


Au cirque

 


Au grand cirque de l'Univers,
On voit sauter des trapézistes,
Des clowns, des jongleurs, des artistes S'envoler à travers les airs.

L'écuyère sur ses chevaux
Passe du noir au brun, au blanc,
Le funambule, sans élan,
Droit sur son fil, saute là-haut.

Tout saute à s'en rompre le crâne
Les lions sur des tambours dorés,
Les tigres sur des tabourets...
Moi, je saute du coq à l'âne.

Jacques Charpentreau

 

Batterie

 

Soleil, je t'adore comme les sauvages

À plat ventre sur le rivage.

Que j'ai chaud! c'est qu'il est midi.

Je ne sais plus bien ce que je dis.

Tu es un clown, un toréador,

Tu as des chaînes de montre en or.

Soleil, je supporte tes coups,

Tes gros coups de poing sur mon cou.

C'est encore toi que je préfère,

Soleil, délicieux enfer.

  

Jean Cocteau

 


 

Le caillou

 

J’ai un caillou

Dans mon soulier

Qui me fait mal,

Très mal au pied.

J’ai un caillou

Dans mon soulier

Mais tant pis si

J’ai mal au pied.

J’ai voyez-vous,

Beaucoup trop peur

Que le caillou

Soit dans mon cœur.

 

Pierre Coran


   

 

Le méhari  du Sahara

  

Le méhari  du Sahara

Les nuits sans lune ne dort pas.

 

Inquiet, il vient, Nerveux, il va,

De dune en dune, pas à pas

  

À l'oasis

Où tout est noir,

La lune lisse est son miroir.

 

Pierre Coran


K.K.O.

 

Un kangourou en kimono kaki

Faisait du karaté

Sur un kiosque de kermesse

Avec un koala et un kakatoès.

 

Les kilos du kangourou,

Les kilos du koala,

Le bec du kakatoès

Ont fini par faire un trou

Dans le kiosque de kermesse.

 

Et quand le kiosque craqua,

Kakatoès, koala,

Kangourou en kimono

furent tous trois mis K.O.

 

Pierre Coran

 

La souris et le chat luthier

 

Sur le pont d'un chalutier,

Un chat chic jouait du luth.

 

Il avait mis des souliers,

Une cravate de jute.

 

Pendant que le chat luthier

Amusait les marins soûls,

 

Les souris du chalutier

Rongeaient le chalut à trous.

 

Personne ne devina

Que les souris et le chat

 

S'étaient mis de connivence

Pour que les poissons distraits,

 

Désormais, nagent en paix

Dans leur monde de silence.

 

Pierre Coran

 

 

Le mousse

 

- Mousse : il est donc marin, ton père ?
- Pêcheur. Perdu depuis longtemps.
En découchant d'avec ma mère,
Il a couché dans les brisants...

Maman lui garde au cimetière
Une tombe - et rien dedans -
C'est moi son mari sur la terre,
Pour gagner du pain aux enfants.

Deux petits. - Alors, sur la plage,
Rien n'est revenu du naufrage ?...
- Son garde-pipe et son sabot...

La mère pleure, le dimanche,
Pour repos... Moi, j'ai ma revanche
Quand je serai grand - matelot ! -

 

Tristan Corbière

(1845-1875)

 

 

 

Les imprécations de Camille

 

Rome, l'unique objet de mon ressentiment !
Rome, à qui vient ton bras d'immoler mon amant !
Rome qui t'a vu naître, et que ton coeur adore !
Rome enfin que je hais parce qu'elle t'honore !
Puissent tous ses voisins ensemble conjurés
Saper ses fondements encor mal assurés !
Et si ce n'est assez de toute l'Italie,
Que l'Orient contre elle à l'Occident s'allie;
Que cent peuples unis des bouts de l'univers
Passent pour la détruire et les monts et les mers !
Qu'elle même sur soi renverse ses murailles,
Et de ses propres mains déchire ses entrailles !
Que le courroux du Ciel allumé par mes voeux
Fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux !
Puissé-je de mes voeux y voir tomber ce foudre,
Voir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre,
Voir le dernier Romain à son dernier soupir,
Moi seule en être cause et mourir de plaisir !

Pierre Corneille (1606-1684)
Horace (1640)

 

 

 

Crayons de couleur

Le vert pour les pommes et les prairies,

Le jaune pour le soleil et les canaris,

Le rouge pour les fraises et le feu,

Le noir pour la nuit et les corbeaux

Le gris pour les ânes et les nuages,

Le bleu pour la mer et le ciel

Et toutes les couleurs pour colorier

Le monde

 

Chantal Couliou


 

LE CORPS ET L'ESPRIT

 

Ses doigts tronçonnés par la scie

montrent le bonheur

 

Vieux front scalpé à la perceuse

il pense à la justice

 

jambe coupée aux roues de wagons

il marche au rang de la Paix

 

L'œil brûlé par un copeau chauffé au rouge

regarde l'avenir

 

Son bras arraché par l'hélice d'avion

lutte pour la liberté

 

Sa gorge lacérée aux cuves des acides

chante l'amour des choses

 

Ses poumons décomposés à la gueule du four

respirent la joie du monde

 

Le visage défiguré par un coup de grisou

il est beau comme un premier Mai

 

Gabriel Cousin

 

 

 

L'ETANG

 

 

Les peupliers longs au bord de l'étang

font un bruit paisible et lent qu'on entend

décroître et renaître et décroître encore,

qui parfois augmente et parfois s'endort...

 

Les feuilles d'argent bientôt seront d'or ;

l'étang leur prépare un mouvant linceul,

et les peupliers seront nus et seuls,

 

Seuls au fond de l'eau qui rêve et qui dort.

 

Guy-Charles Cros

 


LE HARENG SAUR

 

Il était un grand mur blanc - nu, nu, nu,

Contre le mur une échelle - haute, haute, haute,

Et, par terre, un hareng saur - sec, sec, sec.

 

Il vient, tenant dans ses mains - sales, sales, sales,

Un marteau lourd, un grand clou - pointu, pointu, pointu,

Un peloton de ficelle - gros, gros, gros.

 

Alors il monte à l'échelle - haute, haute, haute,

Et plante le clou pointu - toc, toc, toc,

Tout en haut du grand mur blanc - nu, nu, nu.

 

Il laisse aller le marteau - qui tombe, qui tombe, qui tombe,

Attache au clou la ficelle - longue, longue, longue,

Et, au bout le hareng saur - sec, sec, sec.

 

Il redescend l'échelle - haute, haute, haute,

L'emporte avec le marteau - lourd, lourd, lourd,

Et puis, il s'en va ailleurs - loin, loin, loin.

 

Et, depuis, le hareng saur - sec, sec, sec,

Au bout de cette ficelle - longue, longue, longue,

Très lentement se balance - toujours, toujours, toujours.

 

J'ai composé cette histoire - simple, simple, simple,

Pour mettre en fureur les gens - graves, graves, graves,

Et amuser les enfants - petits, petits, petits.

 

Charles Cros

A une Chatte

Chatte blanche, chatte sans tache,
Je te demande, dans ces vers,
Quel secret dort dans tes yeux verts,
Quel sarcasme sous ta moustache.

Tu nous lorgnes, pensant tout bas
Que nos fronts pâles, que nos lèvres
Déteintes en de folles fièvres,
Que nos yeux creux ne valent pas

Ton museau que ton nez termine,
Rose comme un bouton de sein,
Tes oreilles dont le dessin
Couronne fièrement ta mine.

Pourquoi cette sérénité?
Aurais-tu la clé des problèmes
Qui nous font, frissonnant et blèmes,
Passer le printemps et l'été?

Devant la mort qui nous menace,
Chats et gens, ton flair, plus subtil
Que notre savoir, te dit-il
Où va la beauté qui s'efface,

Où va la pensée, où s'en vont
Les défuntes splendeurs charnelles? ...
Chatte, détourne tes prunelles;
J'y trouve trop de noir au fond.

Charles Cros

 

 

Berceuse

Endormons-nous, petit chat noir.
Voici que j'ai mis l'éteignoir
Sur la chandelle.
Tu vas penser à des oiseaux
Sous bois, à de félins museaux...
Moi rêver d'elle.

Nous n'avons pas pris de café,
Et dans mon lit bien chauffé
(Qui veille pleure.)
Nous dormirons, pattes dans bras.
Pendant que tu ronronneras,
J'oublierai l'heure.

Sous tes yeux fins, appesantis,
Reluiront les oaristys
De la gouttière.
Comme chaque nuit, je croirai
La voir, qui froide a déchiré
Ma vie entière.

Et ton cauchemar sur les toits
Te diras l'horreur d'être trois
Dans une idylle.
Je subirais les yeux railleurs
De son faux cousin, et ses pleurs
De crocodile.

Si tu t'éveilles en sursaut
Griffé, mordu, tombant du haut
Du toit, moi-même
Je mourrai sous le coup félon
D'une épée au bout du bras long
Du fat qu'elle aime.

Puis hors du lit, au matin gris,
Nous chercherons, toi, des souris,
Moi, des liquides
Qui nous fassent oublier tout,
Car au fond, l'homme et le matou
Sont bien stupides.

Charles Cros

 

Matin d’hiver

 

On s 'éveille,

Du coton dans les oreilles

Une petite angoisse douce

Autour du cœur, comme mousse!

 

C'est la neige

L'hiver blanc

Sur ses semelles de liège,

Qui nous a surpris, dormant.

  

Guy-Charles Cros