Ramuz, Charles-Ferdinand
Régnier, Henri de
Renfer, Werner
Reverdy, Pierre
Richard, Raymond
Richepin,
Jean
Rimbaud, Arthur
Rolland, Romain
Rollinat, Maurice
Romains, Jules
Rosnay, Jean-Pierre
Rostand, Edmond
Roubaud, Jacques
Rousselot, Jean
Roy, Claude
CHALEUR
L'ombre du
tilleul tourne dans la cour.
La fontaine
fait un bruit de tambour.
Un oiseau
s'envole du poirier ; le mur
brûle ; sur
le toit brun et rouge,
La fumée
d'un feu de bois bouge
contre le
ciel tellement bleu qu'il est obscur.
On n'entend
pas un bruit dans les champs
personne
n'est en vue sur la route ;
seules dans
les poulaillers, les poules
gloussent
encore, de temps en temps.
Puis plus
rien qu'un arbre qui penche,
dans
l'opacité de ses branches,
avec son
ombre de côté,
comme sous
un poids qui l'accable ;
et cet
autre se laisse aller
en avant,
comme un dormeur
qui a les
coudes sur la table.
Charles-Ferdinand Ramuz
LES MAISONS
Les vieilles maisons sont toutes voûtées,
elles sont comme des grands-mères
qui se tiennent assises, les mains sur
les genoux,
parce qu'elles ont trop travaillé dans
leur vie
mais les neuves sont fraîches et jolies
comme des filles à fichus
qui, ayant dansé, vont se reposer
et qui se sont mis une rose au cou.
Le soleil couchant brille dans les
vitres,
les fumées montent dévidées
et leurs écheveaux embrouillés
tissent aux branches des noyers
de grandes toiles d'araignées.
Et, pendant la nuit, sur les toits,
l'heure du clocher dont les ressorts
crient –
et le poids descend –
s'en va vers les champs
et réveille subitement
toutes les maisons endormies.
Charles-Ferdinand Ramuz
LE PAYS
C'est un petit pays qui se cache parmi
ses bois et ses collines ;
il est paisible, il va sa vie
sans se presser sous ses noyers
il a de beaux vergers et de beaux champs
de blé,
des champs de trèfle et de luzerne,
roses et jaunes dans les prés,
par grands carrés mal arrangés ;
il monte vers les bois, il s'abandonne
aux pentes
vers les vallons étroits où coulent des
ruisseaux
et, la nuit, leurs musiques d'eau
sont là comme un autre silence.
Charles-Ferdinand Ramuz
Le jardin mouillé
A petit
bruit et peu à peu,
Sur le
jardin frais et dormant,
Feuille à
feuille, la pluie éveille
L’arbre
poudreux qu’elle verdit ;
Au mur on
dirait que la treille
S’étire
d’un geste engourdi.
L’herbe
frémit, le gravier tiède
Crépite et
l’on croirait, là-bas,
Entendre
sur le sable et l’herbe
Comme
d’imperceptibles pas.
Le jardin
chuchote et tressaille,
Furtif et
confidentiel ;
L’averse
semble maille à maille
Tisser la
terre avec le ciel.
Henri de REGNIER
Clown
Je suis le vieux
Tourneboule
Ma main est bleue
d'avoir gratté le ciel
Je suis Barnum, je
fais des tours
Assis sur le trapèze
qui voltige
Aux petits, je
raconte des histoires
Qui dansent au fond
de leurs prunelles
Si vous savez vous
servir de vos mains
Vous attrapez la
lune
Ce n'est pas vrai
qu'on ne peut pas la prendre
Moi je conduis des
rivières
J'ouvre les doigts
elles coulent à travers
Dans la nuit
Et tous les oiseaux
viennent y boire sans bruit
Les parents
redoutent ma présence
Mais les enfants
s'échappent le soir
Pour venir me voir
Et mon grand nez de
buveur d'étoiles
Luit comme un
miroir.
Werner
Renfer
DEPART
L'horizon
s'incline
Les jours sont plus longs
Voyage
Un coeur
saute dans une cage
Un oiseau chante
Il va mourir
Une autre
porte va s'ouvrir
Au fond du couloir
Où s'allume
Une étoile
Une femme
brune
La lanterne du train qui part
Pierre
Reverdy
CELUI QUI ATTEND
C'est bien
l'automne qui revient
Va-t-on
chanter
Mais plus
personne
que moi
n'y tient
je serai le
dernier
Mais elle
n'est pas si triste
qu'on
l'avait dit
cette pâle
saison
Un peu plus
de mélancolie
Pour vous
donner raison
La fumée
interroge
Sera-ce lui
ou toi
qui en
ferez l'éloge
avant les
premiers froids
Et moi
j'attends
La dernière
lumière
qui monte
dans la nuit
Mais la
terre descend
Et tout
n'est pas fini
Une aile la
supporte
Pendant
tout ce temps
Avec toi
j'irai à la fin du compte
Refermer la
porte
S'il fait
trop de vent
Pierre
Reverdy
CALME
INTÉRIEUR
Tout
est calme
Pendant l'hiver
Au soir quand la lampe s'allume
A travers la fenêtre où on la voit courir
Sur le tapis des mains qui dansent
Une ombre au plafond se balance
On parle plus bas pour finir
Au jardin les arbres sont morts
Le feu brille
Et quelqu'un s'endort
Des lumières contre le mur
Sur la terre une feuille glisse
La nuit c'est le nouveau décor
Des drames sans témoin qui se passent dehors
PIERRE REVERDY
Plupart du temps, Ed. Gallimard.
LE BOULANGER
Qu'il est drôle, le
boulanger
Avec ses cheveux couleur de farine!
Sur ses bras, ses mains et sur sa
poitrine,
On dirait qu'il vient de neiger.
Sans se lasser d'un geste prompt,
Tandis qu'au village chacun sommeille,
Il moule les pains au creux des
corbeilles,
Pareils à des chats accroupis en rond.
Puis, dans le four au coeur vermeil,
Il les plonge au bout d'une longue pelle,
Et bientôt les miches en ribambelles,
Sortiront, couleur de soleil
Raymond Richard
Sous la pluie
Il tombe de
l’eau, plic ! ploc ! plac !
Il tombe de
l’eau plein mon sac.
Il pleut,
ça mouille,
Et pas du
vin !
Quel temps
divin
Pour la
grenouille !
Il tombe de
l’eau, plic ! ploc ! plac !
Il tombe de
l’eau plein mon sac.
Après la
pluie
Viendra le
vent.
En arrivant
Il vous
essuie.
Il tombe de
l’eau, plic ! ploc ! plac !
Il tombe de
l’eau plein mon sac.
Jean Richepin
Tête de faune
Dans la
feuillée, écrin vert tâché d’or,
Dans la
feuillée incertaine et fleurie
De fleurs
splendides où le baiser dort,
Vif et
crevant l’exquise broderie,
Un faune
effaré montre ses deux yeux
Et mord les
fleurs rouges de ses dents blanches
Brunie et
sanglante ainsi qu’un vin vieux,
Sa lèvre
éclate en rires sous les branches.
Et quand il
a fui – tel un écureuil –
Son rire
tremble encore à chaque feuille
Et l’on
voit épeuré par un bouvreuil
Le Baiser
d’or du Bois, qui se recueille.
Arthur Rimbaud
Marine
Les chars d'argent et de cuivre--
Les proues d'acier et d'argent--
Battent l'écume,--
Soulèvent les souches des ronces--
Les courants de la lande,
Et les ornières immenses du reflux,
Filent circulairement vers l'est,
Vers les piliers de la forêt,--
Vers les fûts de la jetée,
Dont l'angle est heurté par des
tourbillons de lumière.
Arthur Rimbaud
Ma Bohème
Je m'en allais, les
poings dans mes poches crevées;
Mon paletot soudain devenait idéal;
J'allais sous le ciel, Muse, et j'étais ton féal;
Oh! là là! que d'amours splendides j'ai rêvées!
Mon unique culotte
avait un large trou.
Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais,
assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur;
Où, rimant au milieu
des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur!
Arthur Rimbaud
LES JOIES DU MENUISIER
Joie de la main exacte, des doigts
intelligents, les gros doigts d'où l'on voit sortir la fragile oeuvre d'art !
Joie de l'esprit qui commande aux forces de la terre, qui inscrit dans le bois,
dans le fer ou la pierre, le caprice ordonné de ma noble fantaisie ! Les esprits
de la sève font croître, pour mon art, allongent, engraissent, étirent et
polissent au tour les beaux membres des arbres que je vais caresser.
Mes mains sont des ouvriers dociles que dirige mon maître compagnon, mon
vieux cerveau !
Romain Rolland
La chèvre
Ma bonne chèvre limousine,
Gentille bête à l'œil humain,
J'aime à te voir sur mon chemin
Loin de la gare et de l'usine
Toi que la barbe encapucine,
Tu gambades comme un gamin,
Ma bonne chèvre limousine,
Gentille bête à l'œil humain.
Je vais à la ferme voisine,
Mais je te jure que demain
Tu viendras croquer dans ma main
Du sucre et du sel de cuisine,
Ma bonne chèvre limousine.
Maurice
Rollinat
Paysage
d’octobre
Les nuages sont revenus,
Et la treille qu’on a saignée
Tord ses longs bras maigres et nus
Sur la muraille renfrognée.
La brume a terni les blancheurs
Et cassé les fils de la vierge ;
Et le vol des martins-pêcheurs
Ne frissonne plus sur la berge.
Les arbres se sont rabougris,
La chaumière ferme sa porte,
Et le joli papillon gris
A fait place à la feuille morte.
Plus de nénuphars sur l’étang ;
L’herbe languit, l’insecte râle,
Et l’hirondelle, en sanglotant,
Disparaît à l’horizon pâle.
Maurice Rollinat
LES CYCLISTES
Les grelots
sonnent
Loin, sur
la route,
Quatre
cyclistes.
Entre leurs
bras
Et leurs
poitrines
On voit le
ciel.
Les pentes
étirent
Les virages
tordent
La vie
élastique
De leurs
quatre corps
Elle
mollit, ploie,
Colle sur
la voie,
Ou durcit
et broie
Le néant
qui dort.
Jules Romains
ECOLES
Ce sont les
écoles de campagne, les écoles perdues
Entre la
lande et la pierraille, entre les bois et les labours
Il y en a
près des hameaux où les chemins font carrefour ;
D'autres
qu'entoure le village et d'autres à l'entrée du bourg
Celles
aussi qu'on a bâties à l'écart sur un monticule.
Et si nos
yeux pouvaient franchir cette brume qui traîne au bout,
Ils en
verraient d'autres monter d'un terrain noir contre une usine,
Pâles
écoles de banlieue où l'air sent le fer et le soufre ;
Et d'autres
bien creusées de cours naître du cœur des grandes villes.
Jules Romains
New York, bouquet de bourgeons
Et furie de floraison.
Notre cime, notre ombelle.
New York, par où sort la sève,
Le bouillon d'en haut, l'écume,
La jeune bave sucrée.
Les murs poussent, blancs, rapides,
Comme moelle de sureau ;
0 substance encore humide
Les buildings de trente étages,
De cinquante, cent étages,
Dressent par-dessus notre age
Des pylônes de bureaux.
Un flot de verre étincelle,
Une nuée de mica.
Les vitres volent, pollen
De ce printemps implacable.
Leur tourbillon qui s'élève
Colle après les parois neuves
Des durs palais verticaux.
Jules Romains
L'ACCENT CIRCONFLEXE ET LA PETITE CÉDILLE
ç
Entre deux vers
D'un long poème
D'un poème fort ennuyeux
La cédille aux yeux de verveine
qui nattait ses jolis cheveux
rencontra l'accent circonflexe
Curieuse quoiqu'un peu perplexe
Sans moi vous l'eussiez deviné
Elle lui dit pour commencer
Quel bizarre chapeau que le vôtre
Seriez-vous par hasard gendarme ou polytechnicien
Et que faites-vous donc sur le front des apôtres
Est-ce vous la colombe ou la fumée du train
Je suis je suis gentille cédille
Le S escamoté des mots de l'autrefois
C'est à l'hostellerie qu'on emmenait les filles
Le S a disparu me voici sur le toit
Et toi que fais-tu cédille
A traîner derrière les garçons
Sont-ce là d'honnêtes façons
N'es-tu point de bonne famille
Accent bel accent circonflexe
Voilà toute ma vérité
Je t'aime et pour te le prouver
Je fais un
S
avec un C
Jean-Pierre Rosnay
La tirade des nez
Ah !
Non ! c'est un peu court, jeune homme !
On
pouvait dire... Oh ! Dieu !... bien des choses, en somme...
En
variant le ton..., par exemple, tenez :
Agressif : 'Moi, monsieur, si j'avais un tel nez,
Il
faudrait sur le champ que je me l'amputasse !'
Amical : 'Mais il doit tremper dans votre tasse !
Pour
boire, faites vous fabriquer un hanap !'
Descriptif : 'C'est un roc !... c'est un pic !... c'est un cap !
Que
dis-je c'est un cap ?... C'est une péninsule !'
Curieux : 'De quoi sert cette oblongue capsule ?
D'écritoire, monsieur, ou de boîte à ciseaux ?'
Gracieux : 'Aimez-vous à ce point les oiseaux
Que
paternellement vous vous préoccupâtes
De
tendre ce perchoir à leurs petites pattes ?'
Truculent : 'çà, monsieur, lorsque vous pétunez,
La
vapeur du tabac vous sort-elle du nez
Sans
qu'un voisin ne crie au feu de cheminée ?'
Prévenant : 'Gardez-vous, votre tête entraînée
Par
ce poids, de tomber en avant sur le sol !'
Tendre : 'Faites-lui faire un petit parasol,
De
peur que sa couleur au soleil ne se fane !'
Pédant : 'l'animal seul, monsieur, qu'Aristophane
Appelle Hippocampelephantocamélos
Dut
avoir sous le front tant de chair sur tant d'os !'
Cavalier : 'Quoi, l'ami, ce croc est à la mode ?
Pour
prendre son chapeau, c'est vraiment très commode !'
Emphatique : 'Aucun vent ne peut, nez magistral,
T'enrhumer tout entier, excepté le mistral !'
Dramatique : 'c'est la mer Rouge qui saigne !'
Admiratif : 'Pour un parfumeur, quelle enseigne !'
Lyrique : 'Est-ce une conque, êtes-vous un triton ?'
Naïf
: 'Ce monument, quand le visite-t-on ?'
Respectueux : 'Souffrez, monsieur, qu'on vous salue,
C'est là ce qui s'appelle avoir pignon sur rue !'
Campagnard : 'Hé, ardé ! C'est-y un nez ? Nanain !
C'est queuqu'navet géant ou ben queuqu'melon nain !'
Militaire : 'Pointez contre cavalerie !'
Pratique : 'Voulez-vous le mettre en loterie ?
Assurément, monsieur, ce sera le gros lot !'
Enfin, parodiant Pyrame en un sanglot :
'Le
voilà donc ce nez qui des traits de son maître
A
détruit l'harmonie ! Il en rougit, le traître !'
Voilà ce qu'à peu près, mon cher, vous m'auriez dit,
Si
vous aviez un peu de lettres et d'esprit.
Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac (Fasquelle, éd.)
CE QUE DIT LE COCHON…
Pour parler, dit le
cochon,
Ce que j’aime c’est les mots porqs :
glaviot grumeau gueule grommelle
chafouin pacha épluchure
mâchon moche miche chameau
empoté chouxgras polisson.
J’aime les mots gras et porcins :
jujube pechblende pépère
compost lardon chouraver
bouillaque
tambouille couenne
navet vase chose choucroute.
Je n’aime pas trop potiron
et pas du tout arc-en-ciel.
Ces bons mots je me les fourre sous le
groin
et ça fait un pöeme de porq.
Jacques Roubaud,
Les
Animaux de tout le monde.
ON N'EST PAS
N'IMPORTE QUI
Quand tu rencontres un arbre dans la rue,
dis-lui bonjour sans attendre qu'il te salue. C'est
distrait, les arbres.
Si c'est un vieux, dis-lui « Monsieur». De toute
façon, appelle-le par son nom: Chêne, Bouleau,
Sapin, Tilleul... Il y sera sensible.
Au besoin aide-le à traverser. Les arbres, ça
n'est pas encore habitué à toutes ces autos.
Même chose avec les fleurs, les oiseaux, les
poissons: appelle-les par leur nom de famille.
On n'est pas n'importe qui ! Si tu veux être tout
à fait gentil, dis « Madame la Rose» à l'églantine;
on oublie un peu trop qu'elle y a droit.
JEAN ROUSSELOT
Petits Poèmes pour coeurs pas cuits,
Ed. St-Germain-des-Prés
APPROCHEZ VOS MAINS DE LA FLAMME
Approchez vos mains de la flamme
jusqu y à voir le feu au travers
avec ses courants et ses lames
et ses sirènes aux yeux verts
jusqu'à voir les grands fonds du feu
avec leurs poissons de sommeil
et les longs navires sans yeux
leurs équipages de soleil
et leur forêt d'algues de paille
qui flambe et brille au fond du feu
prisonniers des mains et des mailles
au tremblant filet de vos yeux
Claude Roy
LA NUIT
Elle est venue la nuit de plus loin que
la nuit
à pas de vent de loup de fougère et de
menthe
voleuse de parfum impure fausse nuit
fille aux cheveux d'écume issue de l'eau
dormante
Après l'aube la nuit tisseuse de chansons
s'endort d'un songe lourd d'astres et de
méduses
et les jambes mêlées aux fuseaux des
saisons
veille sur le repos des étoiles confuses
Sa main laisse glisser les constellations
le sable fabuleux des mondes solitaires
la poussière de Dieu et de sa création
la semence de feu qui féconde la terre
Mais elle vient la nuit de plus loin que
la nuit
A pas de vent de mer de feu de loup de
piège
bergère sans troupeau glaneuse sans épis
aveugle aux lèvres d'or qui marche sur la
neige.
Claude
Roy
Bruit de la mer
Si tu trouves sur la plage
Un très joli coquillage
Compose le numéro
Océan zéro, zéro,
Et l'oreille à l'appareil
La mer te racontera
Dans sa langue des merveilles
Que Papa te traduira.
Claude Roy
LIEDER DU VENT A DECORNER LES BOEUFS
Le vent court à brise abattue
il court il court à perdre haleine
Pauvre vent perdu et jamais au but
où cours-tu si vite à travers la plaine
Où je cours si vite où je cours si vite
Le vent en bégaye d'émotion et
d'indignation
Se donner tant de mal et de gymnastique
et qu'on vous pose après de pareilles
questions
A quoi, bon souffler si fort et si bête
et puis s'en aller sans rien emporter
Quelle vie de chien qui toujours halète
qui tire sa langue de chien fatigué
Jusqu'au bout du monde il faut que tu
ailles
poussant ton charroi de vent qui rabâche
Vente vent têtu de sac et de paille
Claude Roy
L’enfant qui
va aux commissions
« Un pain, du beurre, un camembert,
mais surtout n’oublie pas le sel.
Reviens pour mettre le couvert,
ne va pas traîner la semelle. »
l’enfant s’en va le nez au vent.
Le vent le voit. Le vent le flaire.
L’enfant devient un vol-au-vent,
l’enfant devient un fils de l’air.
« Reviens, reviens, au nom de Dieu !
Tu fais le malheur de ton père.
Ma soupe est déjà sur le feu.
Tu devrais mettre le couvert ! »
Léger, bien plus léger que l’air,
l’enfant est sourd à cet appel.
Il est déjà à Saint-Nazaire.
Il oublie le pain et le sel…
Claude Roy
Les quatre éléments
L’air c’
est rafraîchissant
le feu
c’est dévorant
la terre
c’est tournant
l’eau -
c’est tout différent.
L’air c’est
toujours du vent
le feu
c’est toujours bougeant
la terre
c’est toujours vivant
l’eau -
c’est tout différent.
L’air c’est
toujours changeant
le feu
c’est toujours mangeant
la terre
c’est toujours germant
l’eau -
c’est tout différent.
Et combien
davantage encore ces drôles d’hommes espèces de vivants
qui ne se
croient jamais dans leur vrai élément.
Claude Roy
UNE HISTOIRE A
SUIVRE
Après tout ce blanc vient le vert,
Le printemps vient après l'hiver.
Après le grand froid le soleil,
Après la neige vient le nid,
Après le noir vient le réveil,
L'histoire n'est jamais finie.
Après tout ce blanc vient le vert,
Le printemps vient après l'hiver,
Et après la pluie le beau temps.
Claude ROY
Farandoles et fariboles,
Ed.La Guilde du livre
DEVINE UN PEU LA
DEVINETTE
Cent mille chats gris couleur de souris.
Ils ont le bout des pattes blanc:
pattes de velours posées doucement
cent mille chats gris dans le ciel tout gris
cent mille chats gris cachés dans la nuit.
La neige neige lentement.
Claude Roy
Nouvelles fantastiques
Ed. Gallimard
LES CORRIDORS
OÙ DORT ANNE QU'ON ADORE
La petite Anne, quand elle dort,
où s'en va-t-elle ?
Est-elle dedans, est-elle dehors,
et que fait-elle ?
Pendant la récré du sommeil,
à pas de loup,
entre la terre et le soleil,
Anne est partout.
Les pieds nus et à tire-d'aile
Anne va faire
les quatre cents coups dans le ciel.
Anne s'affaire.
La petite Anne, quand elle dort,
qui donc est-elle ?
Qui dort ? Qui court par-dessus bord ?
Une autre et elle.
L'autre dort et l'une a des ailes,
Anne dans son lit, Anne dans le ciel.
Claude Roy
HYMNE DES OBJETS
MÉNAGERS
Nous sommes objets,
Objets quotidiens.
Sages et rangés,
Satisfaits d'un rien.
On nous époussette,
On se sert de nous.
Lampes, allumettes,
Tapis et bijoux,
Balais et fauteuils,
Rideaux et miroirs,
Objets sans orgueil
Du matin au soir,
Nous servons les hommes
Très utilement.
Fidèles nous sommes
Tout le long de l'an.
Claude ROY
La Maison qui s'envole
UNE FAUVETTE
Avec sa chanson perle à perle
lancée tout droit comme un jet d'eau;
la fauvette soutient le ciel
empêche l'orage de tomber.
Si tu t'arrêtes de chanter
fauvette grisette
j'ai peur qu'il tonne et qu'il pleuve.
Claude ROY
Bestiaire du coquillage
Si tu trouves sur la
plage
Un très joli
coquillage
Compose le numéro
OCÉAN 0.0.
Et l'oreille à
l'appareil
La mer te racontera
Dans sa langue des
merveilles
Que Papa te
traduira.
Claude
Roy
Le loup vexé
Un loup sous la
pluie,
Sous la pluie qui
mouille.
loup sans parapluie,
pauvre loup
gribouille.
Est-ce qu'un loup
nage?
Entre chien et loup,
sous l'averse en
rage,
un hurluberloup?
Le loup est vexé
parce qu'on prétend
que par mauvais
temps
un loup sous la
pluie
sent le chien
mouillé.
Claude
Roy