Max
Jacob
La salle à manger
Il y a une
armoire à peine luisante
Qui a
entendu les voix de mes grand-tantes,
Qui a
entendu la voix de mon grand-père,
Qui a
entendu la voix de mon père.
A ces
souvenirs l’armoire est fidèle.
On a tort
de croire qu’elle ne sait que se taire,
Car je
cause avec elle.
Il y a
aussi un coucou en bois.
Je ne sais
pourquoi il n’a plus de voix.
Je ne veux
pas le lui demander.
Peut-être
bien qu’elle est cassée,
La voix qui
était dans son ressort,
Tout
bonnement comme celle des morts.
Il y a
aussi un vieux buffet
Qui sent la
cire, la confiture,
La viande,
le pain et les poires mûres.
C’est un
serviteur fidèle qui sait
Qu’il ne
doit rien nous voler.
Il est venu
chez moi bien des hommes et des femmes
Qui n’ont
pas cru à ces petites âmes.
Et je
souris que l’on me pense seul vivant
Quand un
visiteur me dit en entrant :
Comment
allez-vous, Monsieur Jammes ?
Francis James
L'ENFANT LIT L'ALMANACH
L'enfant
lit l’almanach près de son panier d'œufs
Et, en
dehors des saints et du temps qu'il fera,
Elle peut
contempler les beaux signes des cieux :
Chèvre,
taureau, bélier, poisson et caetera.
Aussi peut-elle croire, petite paysanne,
Qu'au-dessus d'elle, dans les
constellations,
Il y a des marchés pareils avec des ânes,
Des taureaux, des béliers, des chèvres,
des poissons.
C'est le marché du ciel sans doute queue
lit
Et, quand la page tourne au signe des
balances
Elle se dit qu'au ciel comme à l'épicerie
On pèse le café, le sel et les
consciences.
Francis JAMMES
QUAND VIENT L'AUTOMNE
On voit, quand vient l'automne, aux fils
télégraphiques
De longues lignes d'hirondelles
grelotter.
On sent leurs petits coeurs qui ont froid
s'inquiéter.
Même sans l'avoir vu, les plus toutes
petites
Aspirent au ciel chaud et sans tâche
d'Afrique.
C'est dur d'abandonner le porche de
l'église !
Dur qu'il ne soit plus tiède ainsi qu'aux
mois passés !
Oh ! Comme elles s'attristent ! Oh !
Pourquoi le noyer
Les a-t-il donc trompées en n'ayant plus
de feuilles ?
La nichée de l'année ne le reconnaît
point,
Ce printemps que l'automne a recouvert de
deuil.
Francis JAMMES
CE SONT LES TRAVAUX DES HOMMES
Ce sont les travaux de l'homme qui sont
grands :
Celui qui met le lait dans les vases de
bois,
Celui qui
cueille les épis Piquants et droits,
Celui qui
garde les vaches près des aulnes frais,
Celui qui
fait saigner les bouleaux des forêts,
Celui qui
tord, près des ruisseaux vifs, les osiers,
Celui qui
raccommode les vieux souliers
Près d'un
foyer obscur, d'un vieux chat galeux,
D'un merle
qui dort et des enfants heureux
Celui qui
tisse et fait un bruit retombant,
Lorsque à
minuit les grillons chantent aigrement ;
Celui qui
fait le pain, celui qui fait le vin,
Celui qui
sème l'ail et les choux au jardin,
Celui qui
recueille les oeufs tièdes.
Francis JAMMES
DUO
Dans le
taillis
Oyez, oyons
Le
gazouillis
De
l’oisillon
Sous la
charmille
Que l’aube
mouille
Perle son
trille
Comme il
gazouille
Dans le
taillis
Oyez, oyons
Le gazillon
De l’oisoullis
Sous la
charmille
Que l’aube
mouille
Perle son
trouille
Comme il
gazille.
Elle est charmouille
Non, je bafouille…
Alfred Jarry
L'école
est fermée
Le tableau s'ennuie ;
Et les araignées
Dit-on étudient
La géométrie
Pour améliorer
L'étoile des toiles :
Toiles d'araignées,
Bien évidemment.
L'école est fermée
Les souris s'instruisent,
Les papillons lisent
Les pupitres luisent,
Ainsi que les bancs.
L'�cole est fermée
Mais si l'on écoute
Au fond du silence,
Les enfants sont là
Qui parlent tout bas
Et dans la lumière,
Des grains de poussière,
Ils revivent toute l'année qui passa,
Et qui s'en alla !
Georges Jean