Tardieu, Jean
Tirolien, Guy
Patrice de La Tour du
Pin
Toulet, Paul-Jean
Tzara, Tristan
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CHOEUR D'ENFANTS
Tout ça qui a commencé
il
faut bien que ça finisse
la maison zon sous l'orage
le bateau dans le naufrage
le voyageur chez les sauvages.
Ce qui s'est manifesté
il faut que ça disparaisse
feuilles vertes de l'été
espoir jeunesse et beauté
anciennes vérités.
MORALITÉ
Si vous ne voulez rien finir
évitez de rien commencer.
Si vous ne voulez pas mourir,
quelques mois avant dé naître
faites-vous décommander.
Jean TARDIEU
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Conversation
Comment ça va sur la terre ?
- Ça va ça va, ça va bien.
Les petits chiens sont-ils prospères ?
- Mon Dieu oui merci bien.
Et les nuages ?
- Ça flotte.
Et les volcans ?
- Ça mijote.
Et les fleuves ?
- Ça s'écoule.
Et le temps
- Ça se déroule.
Et votre âme ?
- Elle est malade
Le printemps était trop vert
elle a mangé trop de salade.
Jean Tardieu
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Les difficultés essentielles
Monsieur
mes ses chaussettes
Monsieur les lui retire.
Monsieur met sa culotte
Monsieur la lui déchire.
Monsieur met sa chemise
Monsieur met ses bretelles
Monsieur met son veston
Monsieur met ses chaussures :
au fur et à mesures
Monsieur les fait valser.
Quand Monsieur se promène
Monsieur reste au logis
quand Monsieur est ici
Monsieur n'est jamais là
quand Monsieur fait l'amour
Monsieur fait pénitence
s'il prononce un discours
il garde le silence,
s'il part pour la forêt
c'est qu'il s'installe en ville,
lorsqu'il reste tranquille
c'est qu'il est inquiet
il dort quand il s'éveille
il pleure quand il rit
au lever du soleil
voici venir la nuit ;
Vrai ! c'est vertigineux
de le voir coup sur coup
tantôt seul tantôt deux
levé couché levé
debout assis debout !
Il ôte son chapeau
il remet son chapeau
chapeau pas de chapeau
pas de chapeau chapeau
et jamais de repos.
Jean Tardieu
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Le
citadin
Avancez! Reculez ! Arrêtez ! - Des ordres
chuchotés haletants à l'oreille. Obéis !
(Capitaines cachés dans la faim et la
soif)
Fuis ! Montre-toi ! Un salut !
Signe tais-toi réponds prends garde !
Que d'ordres venus de partout !
Le soleil ?
- La main sur les yeux !
La pluie ?
- Courbe le dos !
L'amour qui
arrive ? – Attention !
Et ces
morts en travers du chemin tout à coup !
Chocs et contre-temps de la ville
et de la vie je suis tranquille
seulement si mon souffle et mon pas vous
rassemblent.
L'instable est mon repos.
Jean Tardieu
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LE DILEMME
J’ai vu des barreaux
je m’y suis heurté
c’était l’esprit pur.
J’ai vu des poireaux
je les ai mangés
c’était la nature.
Pas plus avancé !
Toujours des barreaux
toujours des poireaux !
Ah ! si je pouvais
laisser les poireaux
derrière les barreaux
la clé sous la porte
et partir ailleurs
parler d’autre chose !
Jean
Tardieu
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La soirée du pianiste
L’artiste
est à son piano,
Sa main
droite joue en solo,
Ses cinq
doigts sont longs et fins
cinq fois
un, cinq
Puis, des
deux mains, il s’enhardit
cinq fois
deux, dix.
Le piano
tonne, hurle, grince,
cinq fois
trois, quinze
Un dernier
accord, c’est la fin !…
cinq fois
quatre, vingt.
Après le
concert, le pianiste trinque,
cinq fois
cinq, vingt-cinq.
Puis, il
rentre dans sa soupente,
cinq fois
six, trente,
Passe sa
chemise en lin,
cinq fois sept, trente-cinq
Puis, sa tête devient dolente,
cinq fois huit, quarante...
Il dort
déjà. Tout est éteint,
cinq fois neuf, quarante-cinq,
Sauf la Lune, qui se lamente,
cinq fois dix, cinquante...
Jean Tardieu
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Conseils donnés par une sorcière
Retenez-vous de rire
dans le petit matin
N’écoutez pas les arbres
qui gardent les chemins
Ne dites votre nom
à la terre endormie
qu’après minuit sonné!
À
la neige, à la pluie
ne tendez pas la main !
N’ouvrez votre fenêtre
qu’aux petites planètes
que vous connaissez bien!
Confidence pour confidence:
vous qui venez me consulter,
méfiance, méfiance
On ne sait pas ce qui peut arriver.
Jean Tardieu
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Prière d'un
petit enfant nègre
Seigneur, je suis très fatigué
Je suis né fatigué.
Et j'ai beaucoup marché depuis le chant du coq
Et le morne est bien haut qui mène à leur école.
Seigneur, je vous en prie, que je n'y aille plus!
Je veux suivre mon père dans les ravines fraîches
Quand la nuit flotte encore dans le mystère des bois
Où glissent les esprits que l'aube vient chasser.
Je veux aller pieds nus par les rouges sentiers
Que cuisent les flammes de midi,
Je veux dormir ma sieste au pied des lourds manguiers²,
Je veux me réveiller
Lorsque là-bas mugit la sirène des blancs
Et que l'Usine
Sur l'océan des cannes
Comme un bateau ancrée
Vomit dans la campagne son équipage nègre...
Seigneur, je ne veux plus aller à leur école,
Faites, je vous en prie, que je n'y aille plus.
Ils racontent qu'il faut qu'un petit nègre y aille
Pour qu'il devienne pareil
Aux messieurs comme il faut.
Mais moi je ne veux pas
Devenir comme ils disent,
Un monsieur de la ville,
Un monsieur comme il faut.
Je préfère flâner le long des sucreries
Où sont les sacs repus³
Que gonfle un sucre brun autant qu ma peau brune.
Je préfère, vers l'heure où la lune amoureuse
Parle bas à l'oreille des cocotiers* penchés,
Ecouter ce que dit dans la nuit.
La voix cassée d'un vieux qui raconte en fumant
Les histoires de Zamba et de compère Lapin,
Et bien d'autres choses encore
Qui ne sont pas dans les livres.
Les nègres, vous le savez, n'ont que trop travaillé.
Pourquoi faut-il, de plus, apprendre dans des livres
Qui nous parlent de choses qui ne sont pas d'ici?
Et puis elle est vraiment trop triste, leur école,
Triste comme
Ces messieurs de la ville,
Ces messieurs comme il faut
Qui ne savent plus danser le soir au clair de lune,Qui ne savent plus
marcher sur la chair de leurs pieds,
Qui ne savent plus conter les contes aux veillées.
Seigneur, je ne veux plus aller à leur école!
Guy Tirolien
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CHANSON DU
RAMONEUR
je suis
fils de ramoneurs
Qui n'ont
De père en
fils, de cœur en coeur,
Qu'une
seule destinée,
Et c'est de
se perdre au fond,
Au fin fond
des cheminées !
Les plus
belles, de châteaux...
A l'aube,
On s'est
glissé sous leurs rideaux
De tout le
jour on ne sort,
Tout le
jour, un jour de taupes
Courant
dans leurs corridors.
On revient
passé le soir,
Les yeux
Fumés,
vagues et tout noirs,
Mais
gardant le clair des chambres
Où dorment
des gens heureux...
- Sur la
route de décembre.
A l'autre
Noël, perdu
Par chance,
je ne suis
pas redescendu
Petit
ramoneur glacé
Perche sur
des toits immenses
A voir la
Noël passer...
Patrice de La Tour du Pin
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Dessous la courtine mouillée
Du matin soucieux,
Tu balances, harmonieux,
Ta branche dépouillée,
Beau peuplier qui de l'été
Fais voir encor la grâce
Pourquoi l'âge a-t-il sur ma face
Aboli ma fierté ?
Paul-Jean Toulet
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Chanson dada
I
la chanson d'un dadaïste
qui avait dada au coeur
fatiguait trop son moteur
qui avait dada au coeur
l'ascenseur portait un roi
lourd fragile autonome
il coupa son grand bras droit
l'envoya au pape à rome
c'est pourquoi
l'ascenseur
n'avait plus dada au coeur
mangez du chocolat
lavez votre cerveau
dada
dada
buvez de l'eau
II
la chanson d'un dadaïste
qui n'était ni gai ni triste
et aimait une bicycliste
qui n'était ni gaie ni triste
mais l'époux le jour de l'an
savait tout et dans une crise
envoya au vatican
leurs deux corps en trois valises
ni amant
ni cycliste
n'étaient plus ni gais ni tristes
mangez de bons cerveaux
lavez votre soldat
dada
dada
buvez de l'eau
III
la chanson d'un bicycliste
qui était dada de coeur
qui était donc dadaïste
comme tous les dadas de coeur
un serpent portait des gants
il ferma vite la soupape
mit des gants en peau d'serpent
et vient embrasser le pape
c'est touchant
ventre en fleur
n'avait plus dada au coeur
buvez du lait d'oiseaux
lavez vos chocolats
dada
dada
mangez du veau
Tristan
Tzara (1896-1963)