Emmanuel, Pierre

Emond, Jason

Eluard, Paul

Esope

 

 

un arbre nu 
sauf une feuille 
qui tient toujours

un homme nu 
sauf un visage 
qui ment toujours

abattre l'arbre 
pour qu'elle tombe

et tuer l'homme 
pour qu 'il soit vrai?

Pierre Emmanuel

 

 

 

Le bonhomme de neige

 

 

Savez-vous qui est né
Ce matin dans le pré?
Un gros bonhomme tout blanc!
Il est très souriant
Avec son ventre rond
Ses yeux noirs de charbon
Son balai menacant
Et son chapeau melon.

Le soleil a brillé,
À midi dans le pré,
Je n'ai rien retrouvé...
Le bonhomme a filé!

 

Jason Émond

                                                                       

 


 

POISSON

 

 

Les poissons, les nageurs, les bateaux

Transforment l'eau.

L'eau est douce et ne bouge

Que pour oe qui la touche.

 

Le poisson avance

Comme un doigt dans un gant,

Le nageur danse lentement

Et la voile respire.

 

Mais l’eau douce bouge

Pour ce qui la touche,

Pour le poisson, pour le nageur, pour le bateau

Qu'elle porte

Et qu’elle emporte.

 

Paul Eluard

                                  


Pour vivre ici

Je fis un feu, l'azur m'ayant abandonné,
Un feu pour être son ami,
Un feu pour m'introduire dans la nuit d'hiver,
Un feu pour vivre mieux.

Je lui donnai ce que le jour m'avait donné:
Les forêts, les buissons, les champs de blé, les vignes,
Les nids et leurs oiseaux, les maisons et leurs clés,
Les insectes, les fleurs, les fourrures, les fêtes.

Je vécus au seul bruit des flammes crépitantes,
Au seul parfum de leur chaleur;
J'étais comme un bateau coulant dans l'eau fermée,
Comme un mort je n'avais qu'un unique élément.

 

Paul  ELUARD


 

MOUILLÉ

 

 

La pierre rebondit sur l'eau,

La fumée n'y pénètre pas.

L'eau, telle une peau

Que nul ne peut blesser

Est caressée

Par l'homme et par le poisson.

 

Claquant comme corde d'arc,

Le poisson, quand l'homme l'attrape,

Meurt, ne pouvant avaler

Cette planète d'air et de lumière.

 

Et l'homme sombre au fond des eaux

Pour le poisson

Ou pour la solitude amère

De l'eau souple et toujours close.

 

Paul Eluard

 

 

 


LIBERTÉ              

 Sur mes cahiers d’écolier

Sur mon pupitre et les arbres

Sur le sable sur la neige

J’écris ton nom.

 

Sur toutes les pages lues

Sur toutes les pages blanches

Pierre sang papier ou cendre

J’écris ton nom

 

Sur les images dorées

Sur les armes des guerriers

Sur la couronne des rois

J’écris ton nom

 

Sur la jungle et le désert

Sur les nids sur les genêts

Sur l’écho de mon enfance

J’écris ton nom

 

Sur les merveilles des nuits

Sur le pain blanc des journées

Sur les saisons fiancées

J’écris ton nom

 

 

 

 

Sur tous mes chiffons d’azur•’

Sur l’étang soleil moisi

Sur le lac lune vivante

J’écris ton nom

 

Sur les champs sur l’horizon

Sur les ailes des oiseaux

Et sur le moulin des ombres

J’écris ton nom

 

Sur chaque bouffée d’aurore

Sur la mer sur les bateaux

Sur la montagne démente

J‘écris ton nom

 

Sur la mousse des nuages

Sur les sueurs de l’orage

Sur la pluie épaisse et fade

J‘écris ton nom

 

Sur les formes scintillantes

Sur les cloches des couleurs

Sur la vérité physique

J‘écris ton nom

 

 

Sur les sentiers éveillés

Sur les routes déployées

Sur les places qui débordent

J‘écris ton nom

 

Sur la lampe qui s’allume

Sur la lampe qui s’éteint

Sur mes maisons réunies

J’écris ton nom

 

Sur le fruit coupé en deux

Du miroir et de ma chambre

Sur mon lit coquille vide

J‘écris ton nom

 

Sur mon chien gourmand et tendre

Sur ses oreilles dressées

Sur sa patte maladroite

J’écris ton nom

 

Sur le tremplin de ma porte

Sur les objets familiers

Sur le flot du feu béni

J’écris ton nom

 

 

 

Sur toute chair accordée

Sur le front de mes amis

Sur chaque main qui se tend

J’écris ton nom

 

Sur la vitre des surprises

Sur les lèvres attentives

Bien au-dessus du silence

J’écris ton nom

 

Sur mes refuges détruits

Sur mes phares écroulés

Sur les murs de mon ennui

J’écris ton nom

 

Sur l’absence sans désirs

Sur la solitude nue

Sur les marches de là mort

J’écris ton nom

 

Sur la santé revenue

Sur le risque disparu

Sur l’espoir sans souvenir

J’écris ton nom

 

 

Et par le pouvoir d’un mot

Je recommence ma vie

Je suis né pour te connaître

Pour te nommer

Liberté

 

Paul Eluard


La terre


La terre est bleue comme une orange
Jamais une erreur les mots ne mentent pas
Ils ne vous donnent plus à chanter
Au tour des baisers de s'entendre
Les fous et les amours
Elle sa bouche d'alliance
Tous les secrets tous les sourires
Et quels vêtements d'indulgence
A la croire toute nue.
Les guêpes fleurissent vert
L'aube se passe autour du cou
Un collier de fenêtres
Des ailes couvrent les feuilles
Tu as toutes les joies solaires
Tout le soleil sur la terre
Sur les chemins de ta beauté.

Paul Eluard

 

 

Pour vivre ici

Je fis un feu, l'azur m'ayant abandonné,
Un feu pour être son ami,
Un feu pour m'introduire dans la nuit d'hiver,
Un feu pour vivre mieux.

Je lui donnai ce que le jour m'avait donné:
Les forêts, les buissons, les champs de blé, les vignes,
Les nids et leurs oiseaux, les maisons et leurs clés,
Les insectes, les fleurs, les fourrures, les fêtes.

Je vécus au seul bruit des flammes crépitantes,
Au seul parfum de leur chaleur;
J'étais comme un bateau coulant dans l'eau fermée,
Comme un mort je n'avais qu'un unique élément.

 Paul ELUARD, 1938-1940         Livre ouvert

 

 

 

La fermière et son pot de lait

 

Une fermière se rendait un jour au marché.

 

Elle portait en équilibre sur sa tête un plein pot de lait frais. Tout en avançant, elle songeait à l'argent qu'elle allait gagner en vendant son lait.

« J'achèterai des poules et elles me donneront chacune un œuf par jour. Ensuite je vendrai tous ces œufs à la femme du pasteur. Puis, avec cet argent, je m'offrirai une belle robe et un joli ruban gris car c'est la couleur qui me va le mIeux. »

Elle se voyait déjà, joyeuse et fière, cheminant gaiement pour le bal du village.

En imaginant ces jolis habits, la fermière s'exclama:

« Je serai si ravissante que tous les jeunes hommes du village m'inviteront à danser.

Mais je refuserai d'un signe de tête, comme ça ! » s'écria-t-elle.

Mais lorsqu'elle pencha le visage, le pot de lait tomba à terre et se brisa en mille morceaux. Tout le lait se répandit sur le sol et avec lui s'en furent les doux rêves de la fermière.

 

Ainsi, il ne faut jamais vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué!  

Esope

 

Le loup déguisé en agneau

 

Un loup affamé rôdait toujours autour d'un troupeau d'agneaux. Mais le berger montait si bien la garde qu'il ne pouvait guère s'en approcher. Un jour, non loin du pré, le loup trouva une peau d'agneau que le berger avait abandonnée. Ravi de l'aubaine, le loup l'enfila par-dessus sa fourrure et se mêla au troupeau. Personne ne le reconnut car tout le monde croyait que c'était un mouton parmi d'autres.

La nuit venue, le berger, qui avait très faim, décida de sacrifier un animal pour son souper. Il vit un mouton qui s’approchait lentement de sa cabane. Comme le déguisement du loup était vraiment parfait, le berger le prit pour un de ses moutons et lui assena un grand coup de gourdin. C'est ainsi que l'ingénieuse idée du loup lui fut fatale.

 

Lorsqu'on joue un tour à quelqu'un, il faut prendre garde à ne pas être pris à son propre piège.

  Esope

Le chêne et les roseaux

 

Un superbe chêne vivait fièrement non loin d'une rivière. Un jour, un violent orage survint et faillit tuer net l'arbre si fort. Lorsque la tempête se calma, le chêne, blessé, vit que les roseaux du bord de l'eau étaient encore debout.

« Comment est-ce possible? s'écria-t-il très surpris.

- C'est simple, répondit l'un d'eux, tu es bien trop orgueilleux pour plier, même un peu. Mais moi, je sais que je ne suis qu'un humble roseau. Alors, lorsque le vent me pousse, je penche la tête. Voilà pourquoi je suis encore sain et sauf. Il vaut mieux plier un peu que de céder tout à fait », conclut sagement le roseau.

  Esope

 

 

 

La tortue et le lièvre

 Un lièvre rendait souvent visite à une tortue car il aimait beaucoup se moquer d'elle.

« C'est là ta vitesse maximale? avait-il coutume de dire en riant. De ma vie, je n'ai jamais vu d'aussi lent animal que toi! »

Un jour, la tortue, agacée par ses continuelles plaisanteries, le regarda longuement et lui dit d'une voix douce:

« Très bien. Faisons donc une course, et nous verrons lequel de nous deux est le plus rapide. »

À ces mots, le lièvre se mit à rire à gorge déployée:

« Une course avec toi? Mais je risque d'arriver avant même que tu ne partes, ma chère!

- C'est ce que nous allons voir », répondit fièrement la tortue.

Et elle s'avança sur la ligne de départ qu'ils avaient fixée. Lorsque la tortue entendit

« Partez ! » , elle commença a courIr.

Le lièvre, qui n'était pas pressé, resta sur le bord du chemin, se disant qu'il avait tout son temps. Il ferma les yeux, confortablement installé sur un moelleux tas d'herbes fraîches, ferma un œil, puis les deux et... s'endormit.

La tortue, qui savait bien qu'elle était lente, continua à courir et prit une grande avance sur le lièvre endormi. Tant et si bien qu'elle arriva première.

 

« Sans effort, les dons naturels ne suffisent pas toujours », dit-elle en souriant au lièvre lorsqu'il arriva tout essoufflé sur la ligne d'arrivée.

  Esope

 

 

L’Oie aux œufs d’or 

 

Un fermier découvrit un jour que son oie regardait étrangement l’œuf qu’elle venait de pondre. S’approchant d’elle, il s’aperçut qu’elle avait pondu un œuf en or.

Elle recommença le jour suivant, puis le surlendemain et ainsi plusieurs jours d’affilée. Croyant qu’elle avait un tas d’or caché dans le ventre, il réfléchit et pensa la chose suivante :

« Si je la tue, tout cet or sera à moi. »

Il lui ouvrit donc le ventre mais ne trouva rien du tout !

A désirer davantage que ce que l’on possède déjà, on risque de tout perdre à la fois !

  Esope

 

L’enfant qui criait au loup

A trop crier au loup, on en voit le museau. Un enfant bâillait comme un pou tout en gardant sont troupeau. Il décide de s’amuser.
"Au loup ! hurle-t-il. Au loup ! Vos troupeaux sont en grand danger ! "  Et il crie si fort qu’il s’enroue. Pour chasser l’animal maudit, les villageois courent, ventre à terre, trouvent les moutons bien en vie, le loup, ma foi, imaginaire…
Le lendemain, même refrain.  Les villageois y croient encore.
Troisième jour, un vrai loup vint et c’était un fin carnivore.
"Au loup ! cria l’enfant. Un loup attaque vos troupeaux ! "
"Ah! Le petit impertinent ! Mais il nous prend pour des nigauds! " s’écrièrent les villageois.


Le loup fit un festin de roi.

Fables d’Esope,
adaptation de Marie Farré,
Gallimard

 

 

Le loup et l’agneau

    Un loup, voyant un agneau qui buvait à une rivière, voulut alléguer un prétexte spécieux pour le dévorer. C'est pourquoi, bien qu'il fût lui-même en amont, il l'accusa de troubler l'eau et de l'empêcher de boire. L'agneau répondit qu'il ne buvait que du bout des lèvres, et que d'ailleurs, étant à l'aval, il ne pouvait troubler l'eau à l'amont. Le loup, ayant manqué son effet, reprit : "Mais l'an passé tu as insulté mon père. - Je n'étais pas même né à cette époque", répondit l'agneau. Alors le loup reprit : "Quelle que soit ta facilité à te justifier, je ne t'en mangerai pas moins".

    Cette fable montre qu'auprès des gens décidés à faire le mal la plus juste défense reste sans effet.

 

  Esope

 

 

 

Le corbeau et le fromage 

Source: Ésope, fable 165

Un corbeau, ayant volé un morceau de viande, s'était perché sur un arbre. Un renard l'aperçut, et, voulant se rendre maître de la viande, se posta devant lui et le loua de ses proportions élégantes et de sa beauté, ajoutant que nul n'était mieux fait que lui pour être le roi des oiseaux, et qu'il le serait devenu sûrement, s'il avait de la voix. Le corbeau, voulant lui montrer que la voix non plus ne lui manquait pas, lâcha la viande et poussa de grands cris. Le renard se précipita et, saisissant le morceau, dit: «O corbeau, si tu avais aussi du jugement, il ne te manquerait rien pour devenir le roi des oiseaux.»

Cette fable est une leçon pour les sots.

 

 

 

 

 

La cigale et les fourmis :

On était en hiver et les fourmis faisaient sécher leur grain que la pluie avait mouillé. Une cigale affamée leur demanda de quoi manger. Mais les fourmis lui dirent : "Pourquoi n'as-tu pas, toi aussi, amassé des provisions durant l'été ? - Je n'en ai pas eu le temps, répondit la cigale, cet été je musiquais. - Eh bien, après la flûte de l'été, la danse de l'hiver", conclurent les fourmis. Et elles éclatèrent de rire.

Esope (VIIe-Ve siècle avant J.-C.), Fables,
traduction de Claude Terreaux, Arléa, 1994

 

La cigale et le hanneton :

Un jour d'automne où soufflait un vent très froid, un hanneton chargé de provisions pour l'hiver fut suivi par une cigale.

« Hanneton, mon bon hanneton, j'ai si faim, donne-moi un peu de cette nourriture supplia t-elle.

- Mais qu'as-tu fait tout l'été ? répliqua froidement le hanneton.

- J'ai chanté, balbutia la cigale.

- Eh bien, tu peux danser tout l'hiver maintenant, lui répondit le hanneton. Ne sais-tu pas qu'il faut toujours préparer aujourd'hui ce dont on aura besoin demain ? »

 

 Esope (VIIe-Ve siècle avant J.-C.), Fables

Traduction de Armand Eisen, Mango Jeunesse. 1994.

 

 

 

Aesop (620?-560? av. J.-C.), fabuliste grec, aurait été un esclave affranchi à Thrace.
Plusieurs tentatives furent faites pour confirmer l'existence de l'homme. Hérodote, au 5ème siècle av. J.-C., disait qu'il avait vécu au 6ème siècle et qu'il était un esclave et Plutarque, au 1er siècle de notre ère, fit de lui un conseiller de Crésus, roi de Lydie au 6ème siècle av. J.-C.


Une tradition veut qu'il vienne de Thrace, pendant qu'une autre, en fait un Phrygien. Une biographie égyptienne du Ie siècle ap. J.-C. le situe sur l'île de Samos où il aurait été un esclave vivant au 6e siècle av. J.-C. et qui aurait mérité sa liberté de son maître Jadmon, lequel reconnut l'intelligence et la finesse d'Ésope. De là, il partit à Babylone pour travailler avec le roi Lycurgus et mourut à Delphes.

Le premier fablier fut celui de Demetrius Phalareus au 4e siècle av. J.-C., mais il ne survécut pas au-delà du 9e siècle ap. J.-C. Une autre collection fut celle de Phèdre, reproduite à Rome au 1e siècle ap. J.-C.